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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/312

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abritant sous un privilège temporaire les découvertes industrielles qui sont susceptibles d’un certain degré de précision. Plusieurs voix se sont élevées contre ce système, celle de M. Michel Chevalier entre autres, celle aussi de Proud’hon : « Archimède, dit ce dernier, serait obligé de racheter le droit de se servir de sa vis ! » Sans entrer dans cette querelle, nous ferons remarquer qu’il est rare qu’une invention ne soit pas perfectionnée au bout de peu de temps ; or comme le moindre perfectionnement permet d’éluder le brevet, il est exceptionnel que l’inventeur conserve pour lui, pendant toute la période de la durée du brevet, le bénéfice intégral de sa découverte[1]. D’autres surviennent qui lui montent sur les épaules, ajoutant au sien un perfectionnement nouveau qui annule l’importance du premier.

L’aléa est donc moindre dans l’industrie et dans le commerce aujourd’hui qu’autrefois, et les profits s’en ressentent en s’abaissant. Est-ce à dire que les risques soient devenus presque insignifiants ? Non certes, il y aurait de l’exagération à le prétendre. Il y a en France annuellement environ 5 à 6,000 faillites pour un chiffre de 1,500,000 patentés ; en estimant à 20 ans la durée moyenne pendant laquelle une même personne exerce le commerce et l’industrie, on voit qu’il se produit 120,000 faillites environ pour chaque génération de patentés, soit 8 à 10 pour 100. Un dixième des commerçants et des industriels finissent donc par la faillite mais bien d’autres, en plus grand nombre, arrivent à la déconfiture, et un nombre plus considérable encore ne fait que vivre tant bien que mal du produit de la fabrication ou de la vente sans arriver à la fortune. On admet, en général, que, sur 100 commerçants ou industriels 20 disparaissent presque aussitôt, dès la première ou la seconde année, renonçant à des occupations qui leur apportent des déceptions promptes ; 50 ou 60 autres végètent, c’est-à-dire restent à peu

  1. Il y a néanmoins quelques énormes fortunes faites grâce aux brevets d’invention. On rapporte que M. Bessemer, le célèbre inventeur de l’acier qui porte son nom, a retiré plus de 25 millions de fr. de ses brevets. Un savant suédois M. Nobel, retire 7 ou 800,000 francs par an de ses brevets sur la dynamite.