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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/414

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raisonnable. La position de l’industriel s’est retournée il est devenu plus dépendant de l’ouvrier.

Dans le même temps et par les mêmes causes la position de l’ouvrier s’est retournée également, de sorte qu’on peut presque dire que l’ouvrier se trouve aujourd’hui dans la position où était autrefois « le maître », et ce dernier dans celle où était jadis l’ouvrier.

Le travailleur manuel n’est plus aujourd’hui isolé, sans ressources, sans instruction, sans liberté, sans appui. Il a formé une foule de sociétés diverses, sociétés de secours mutuels, sociétés syndicales où tous les ouvriers d’une même industrie se rencontrent, échangent leurs idées et se concertent pour des décisions communes. Il a, d’ordinaire, quelques économies, parce que ses salaires se sont élevés et que les institutions d’épargne se sont multipliées. S’il n’a pas d’épargnes qui lui soient propres, la société ouvrière à laquelle il appartient possède généralement un petit trésor. Toutes ces sociétés spéciales et locales ont entre elles des relations et des liens ou peuvent aisément en former : elles ont les unes pour les autres de mutuelles sympathies. On peut dire, renversant la phrase de Smith, et mettant une affirmation où il place une négation, qu’il n’est guère de corps de métiers où les ouvriers ne pussent « subsister une semaine, même l’espace d’un mois et, dans certains cas, toute une année sans travailler ».

Les grévistes ont, d’ailleurs, une tactique qui leur est avantageuse, quoique le succès, heureusement, n’en soit pas certain et constant : c’est de localiser et de diviser la grève, de l’appliquer à une maison et à une localité déterminée, en prélevant, pour secourir les grévistes, une contribution ou un impôt sur les ouvriers du même corps d’État qui travaillent dans les autres maisons et dans les autres localités où la grève n’a pas été déclarée. Cette tactique de division leur réussit souvent. Les patrons n’ont contre elle qu’une arme, c’est ce que les Anglais appellent le Lock out, c’est-à-dire le congédiement en masse dans toute la région, dans tout le pays même, des ouvriers appartenant au corps d’État dont quelques membres se