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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/425

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duisant presque tout par elles-mêmes et pour elles-mêmes, et n’entretenant que de faibles relations avec le dehors, le mal est moins intense. C’est surtout le gouvernement, sans numéraire et sans crédit, ce sont les hautes classes à qui la terre ne fournit qu’une faible rente, souvent payée en nature, qui souffrent de la détresse. Là on peut dire que, quant aux masses, la sécurité de la vie et la garantie du nécessaire sont en raison de la médiocrité industrielle et commerciale de la nation. »

Telle est aussi la doctrine de M. Émile de Laveleye, qui compare, dans un passage que nous avons reproduit, l’indépendance et le bonheur de l’ancien Germain, chassant l’aurochs, à la tâche monotone et continue de son successeur, l’Allemand de nos jours. Il semblerait que tous ces esprits libres, qui prônent le progrès et qui y croient, par une singulière inconséquence, ne constatent sur cette terre que dégénérescence et appauvrissement. On ne peut adresser le même reproche à M. Le Play qui, lui aussi, est épris de la vie patriarcale, qui en cherche les modèles dans les montagnes de l’Oural ou parmi les Bachkirs, mais qui du moins n’a jamais prétendu que le progrès fût la loi de l’humanité. C’est dans le même esprit que les industriels chrétiens du Nord rédigeaient au printemps de 1879 leur manifeste économique où ils mêlaient aux idées de patronage la théorie de la protection douanière.

On ne peut nier qu’il n’y ait quelque vérité dans certaines des paroles de Proudhon que nous avons reproduites et dans celles que nous demandons au lecteur la permission de faire passer encore sous ses yeux : « Chez les nations où le travail est divisé et engrené, écrit le pénétrant écrivain, où l’agriculture elle-même est soumise au régime industriel, où toutes les fortunes sont solidaires les unes des autres, où le salaire du travailleur dépend de mille causes indépendantes de sa volonté, le moindre accident trouble ces rapports fragiles, et peut détruire en un instant la subsistance de millions d’hommes. On est épouvanté quand on songe à combien peu de chose