Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/451

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La constatation du taux moyen des salaires à différentes époques et dans différents pays présente des difficultés presque inextricables. Le salaire est si varié et ondoyant qu’il échappe presque par sa mobilité à la statistique. On doit renoncer en pareille matière à une absolue exactitude et se contenter de données approximatives. Les relevés officiels des salaires, ceux qui sont dressés en France par les maires, sont empreints de la plus grande légèreté. Les statistiques de la Chambre de commerce de Paris en 1850 et 1860, les documents fournis aux expositions de 1867 et de 1878, les enquêtes privées près des industriels comme celles de Villermé, de Blanqui, de Louis Reybaud ou comme nos propres investigations méritent plus de confiance. En général, on exagère le taux des salaires ; on le croit plus élevé qu’il n’est parce que l’on ne tient pas compte des interruptions forcées dans le travail, de la morte saison, des fournitures faites par l’ouvrier, ou bien encore parce que l’on considère comme la rémunération moyenne et habituelle celle qui n’est atteinte que par des ouvriers d’élite. Les déclarations des fabricants, dans les enquêtes, sont d’ordinaire au-dessus de la vérité, l’industriel ayant presque toujours intérêt à représenter ses frais de production comme supérieurs à ce qu’ils sont réellement.

Si l’on veut ne pas s’écarter de la vérité, on doit apporter une grande prudence dans les rapprochements que l’on fait entre les salaires des différentes époques et des divers pays. Cette prudence sera notre règle dans les indications que nous allons donner.

Considérons d’abord l’Angleterre, la contrée la plus industrielle du monde. D’après Macaulay, le salaire moyen en argent sous Charles II était moitié aussi haut qu’en 1848 ; les objets de première nécessité, selon l’historien anglais, coûtaient alors, pris en bloc, plus qu’aujourd’hui. La bière et la viande, il est vrai, ont augmenté, mais le pain est resté au même prix, l’épicerie et les objets manufacturés ont notablement diminué. C’est une formule universellement reçue et complètement fausse que les vivres ont doublé depuis trente