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Page:Les aventures de maître Renart et d'Ysengrin son compère, trad. Paulin, 1861.djvu/292

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CINQUANTIÈME AVENTURE.

barque et de passer lui-même sur le meulon, après avoir ôté ses lourds souliers. Mais au moment où il posoit le pied sur le foin, Renart mettoit le sien dans le bateau, s’emparoit de la rame abandonnée et poussoit au large. Le vilain est ébahi, désespéré : voilà ce que l’on gagne à vouloir prendre un goupil. Cependant Renart pousse le bateau vers la rive découverte, puis s’arrêtant à l’aise, en vue de celui qui comptoit sur lui pour fourrer le collet de son manteau : « Dieu te confonde, vilain ! Ah ! quelle belle prison vous m’auriez fait tenir, si vous m’aviez conquis ! Le proverbe est bien vrai : de vilain vilenie ! Quand vilain perd une occasion de mal faire, vilain enrage, car tout son bonheur est de nuire aux bons clercs, aux nobles chevaliers. L’envie, la felonnie, la rage ont le cœur du vilain pour repaire ordinaire. A-t-on jamais conté de vilain une bonne action ? Allons, vilain, fais ton deuil de ma peau, mais puisse Dieu ne pas sauver la tienne, et te donner mauvais lendemain ! » Cela dit, il rame jusqu’au rivage, saute legèrement à terre, et sans être inquieté, retourne et arrive dans son château de Maupertuis.