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CINQUANTIÈME-SIXIÈME AVENTURE.

invité à prendre place auprès d’eux, pour en manger plus à ton aise. À force de m’engager à suivre ton exemple, j’allois me poster sur le chemin des charretiers, et en fus payé de tant de coups de bâton que mon dos en est encore meurtri. Mais la plus longue journée d’été ne suffirait pas à conter tous les maux, tous les ennuis dont je te suis redevable. Heureusement, nous voici devant la Cour, où la renardie ne peut être de grand secours.

— La Cour fera comme moi, elle ne comprendra rien à vos accusations. Déjà ceux qui nous entendent ont peine à revenir de leur surprise et vous tiennent pour sot d’avoir si mal coloré vos mensonges. Pouvez-vous donc perdre votre ame aussi gratuitement ?

— En voilà trop, » reprend Ysengrin, la fureur dans les yeux, « je n’attends que le congé du Roi pour demander contre le traître la bataille en champ clos. — Et moi, » dit Renart, « je la desire au moins autant que vous. »

Aussitôt l’un et l’autre présentèrent leurs gages ; le Roi les reçut sans hésiter ; toute la Cour reconnoissoit que la bataille etoit inévitable : d’ailleurs on pensoit qu’à moins d’une adresse surnaturelle, Renart ne pourroit soutenir l’effort du terrible Ysengrin.