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Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/136

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on nous y conduisait, un des archers m’apprit que la vieille qui demeurait avec Camille nous ayant soupçonnés de n’être pas de véritables valets de pied de la justice, nous avait suivis jusqu’au cabaret ; et que là, ses soupçons s’étant tournés en certitude, elle en avait averti la patrouille pour se venger de nous.

On nous fouilla d’abord partout. On nous ôta le collier, les pendants et le flambeau : on m’arracha pareillement ma bague, avec le rubis des îles Philippines, que j’avais, par malheur, dans mes poches ; on ne me laissa pas seulement les réaux que j’avais reçus ce jour-là pour mes ordonnances ; ce qui me prouva que les gens de justice de Valladolid savaient aussi bien faire leur charge que ceux d’Astorga, et que tous ces messieurs avaient des manières uniformes. Tandis qu’on me spoliait de mes bijoux et de mes espèces, l’officier de la patrouille, qui était présent, contait notre aventure aux ministres de la spoliation. Le fait leur parut si grave que la plupart d’entre eux nous trouvaient dignes du dernier supplice. Les autres, moins sévères, disaient que nous pourrions en être quittes pour chacun deux cents coups de fouet, avec quelques années de service sur mer. En attendant la décision de M. le corrégidor, on nous enferma dans un cachot, où nous nous couchâmes sur la paille, dont il était presque aussi jonché qu’une écurie où l’on a fait la litière aux chevaux. Nous aurions pu y demeurer longtemps, et n’en sortir que pour aller aux galères, si, dès le lendemain, le seigneur Manuel Ordonnez n’eût entendu parler de notre affaire, et résolu de tirer Fabrice de prison ; ce qu’il ne pouvait faire sans nous délivrer tous avec lui. C’était un homme fort estimé dans la ville : il n’épargna point les sollicitations ; et, tant par son crédit que par celui de ses amis, il obtint, au bout de trois jours, notre élargissement. Mais nous ne sortîmes point de ce lieu-là comme nous y étions entrés : le flambeau, le collier, les pendants, ma bague et le rubis, tout y resta. Cela me fit