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Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/262

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Je retournai dans ma chambre, non sans quelque dépit de voir mon attente trompée. Je fus néanmoins assez raisonnable pour m’en consoler. Je fis réflexion qu’il me convenait mieux d’être le confident de ma maîtresse que son amant. Je songeai même que cela pourrait me mener à quelque chose ; que les courtiers d’amour étaient ordinairement bien payés de leurs peines ; et je me couchai dans la résolution de faire ce qu’Aurore exigeait de moi. Je sortis pour cet effet le lendemain. La demeure d’un cavalier tel que don Luis ne fut pas difficile à découvrir. Je m’informai de lui dans le voisinage ; mais les personnes à qui je m’adressai ne purent pleinement satisfaire ma curiosité ; ce qui m’obligea le jour suivant à recommencer mes perquisitions. Je fus plus heureux. Je rencontrai par hasard dans la rue un garçon de ma connaissance : nous nous arrêtâmes pour nous parler. Il passa dans ce moment un de ses amis qui nous aborda, et nous dit qu’il venait d’être chassé de chez don Joseph Pacheco, père de don Luis, pour un quarteau de vin qu’on l’accusait d’avoir bu. Je ne perdis pas une si belle occasion de m’informer de tout ce que je souhaitais d’apprendre ; et je fis tant par mes questions, que je m’en retournai au logis fort content d’être en état de tenir parole à ma maîtresse. C’était la nuit prochaine que je devais la revoir, à la même heure et de la même manière que la première fois. Je n’eus pas ce soir-là tant d’inquiétude ; et, bien loin de souffrir impatiemment les discours de mon vieux patron, je le remis sur ses campagnes. J’attendis minuit avec la plus grande tranquillité du monde ; et ce ne fut qu’après l’avoir entendu sonner à plusieurs horloges que je descendis dans le jardin, sans me pommader et me parfumer : je me corrigeai encore de cela.

Je trouvai au rendez-vous la très fidèle duègne, qui me reprocha malicieusement que j’avais bien rabattu de ma diligence. Je ne lui répondis point, et je me laissai conduire à l’appartement d’Aurore, qui me demanda,