Aller au contenu

Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dre, le seigneur don Gonzale possédait en moi un trésor. En un mot, elles me louèrent tant, que je me défiai des louanges, qu’elles me donnèrent. J’en pénétrai le motif ; mais je les reçus en apparence avec toute la simplicité d’un sot, et par cette contre-ruse je trompai les friponnes, qui levèrent enfin le masque.

Écoute, Gil Blas, me dit Eufrasie, il ne tiendra qu’à toi de faire ta fortune. Agissons de concert, mon ami. Don Gonzale est vieux et d’une santé si délicate, que la moindre fièvre, aidée d’un bon médecin, l’emportera. Ménageons les moments qui lui restent, et faisons en sorte qu’il me laisse la meilleure partie de son bien. Je t’en ferai bonne part, je te le promets ; et tu peux compter sur cette promesse, comme si je te la faisais par-devant tous les notaires de Madrid. Madame, lui répondis-je, disposez de votre serviteur. Vous n’avez qu’à me prescrire la conduite que je dois tenir, et vous serez satisfaite. Eh ! bien, reprit-elle, il faut observer ton maître, et me rendre compte de tous ses pas. Quand vous vous entretiendrez tous deux, ne manque pas de faire tomber la conversation sur les femmes, et de là prends, mais avec art, occasion de lui dire du bien de moi ; occupe-le d’Eufrasie autant qu’il te sera possible. Ce n’est pas tout ce que j’exige de toi, mon ami ; je te recommande encore d’être fort attentif à ce qui se passe dans la famille des Pacheco. Si tu t’aperçois que quelque parent de don Gonzale ait de grandes assiduités auprès de lui et couche en joue sa succession, tu m’en avertiras aussitôt : je ne t’en demande pas davantage ; je le coulerai à fond en peu de temps. Je connais les divers caractères des parents de ton maître : je sais quels portraits ridicules on lui peut faire d’eux, et j’ai déjà mis assez mal dans son esprit tous ses neveux et ses cousins.

Je jugeai par ces instructions, et par d’autres qu’y joignit Eufrasie, que cette dame était de celles qui s’attachent aux vieillards généreux. Elle avait, depuis