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Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/351

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tromperont peut-être votre ressentiment ! Ah ! percez plutôt un misérable qui ne mérite pas que vous l’épargniez. Non, madame, ne gardez point avec moi un procédé si noble et si généreux. Savez-vous qui je suis ? Tout Madrid me croit fils du baron de Steinbach, et je ne suis qu’un malheureux qu’il a élevé chez lui par pitié. J’ignore même quels sont les auteurs de ma naissance. N’importe, interrompit Séraphine avec précipitation, comme si mes dernières paroles lui eussent fait une nouvelle peine, quand vous seriez le dernier des hommes, je ferai ce que l’honneur me prescrit. Eh bien ! madame, lui dis-je, puisque la mort d’un frère n’est pas capable de vous exciter à répandre mon sang, je veux irriter votre haine par un nouveau crime, dont j’espère que vous n’excuserez point l’audace. Je vous adore : je n’ai pu voir vos charmes sans en être ébloui, et, malgré l’obscurité de mon sort, j’avais formé l’espérance d’être à vous. J’étais assez amoureux, ou plutôt assez vain pour me flatter que le ciel, qui peut-être me fait grâce en me cachant mon origine, me la découvrirait un jour, et que je pourrais, sans rougir, vous apprendre mon nom. Après cet aveu qui vous outrage, balancerez-vous encore à me punir ? Ce téméraire aveu, répliqua la dame, m’offenserait sans doute dans un autre temps, mais je le pardonne au trouble qui vous agite. D’ailleurs, dans la situation où je suis moi-même, je fais peu d’attention aux discours qui vous échappent. Encore une fois, don Alphonse, ajouta-t-elle en versant quelques larmes, partez, éloignez-vous d’une maison que vous remplissez de douleur ; chaque moment que vous y demeurez augmente mes peines. Je ne résiste plus, madame, repartis-je en me relevant ; il faut m’éloigner de vous ; mais ne pensez pas que, soigneux de conserver une vie qui vous est odieuse, j’aille chercher un asile où je puisse être en sûreté. Non, non, je me dévoue à votre ressentiment. Je vais attendre avec impatience à Tolède le destin que vous me préparez ;