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Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/430

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emmenant avec nous tous ces chevaux, nous suivîmes le frère Antoine, qui monta sur une des mules pour mener la chaise à l’hôtellerie, où nous n’arrivâmes pourtant que deux heures après, quoiqu’il eût assuré qu’elle n’était pas fort éloignée du bois.

Nous frappâmes rudement à la porte. Tout le monde était déjà couché dans la maison. L’hôte et l’hôtesse se levèrent à la hâte, et ne furent nullement fâchés de voir troubler leur repos par l’arrivée d’un équipage qui paraissait devoir faire chez eux beaucoup plus de dépense qu’il n’en fit. Toute l’hôtellerie fut éclairée dans un moment. Don Alphonse et l’illustre fils de Lucinde donnèrent la main au cavalier et à la dame pour les aider à descendre de la chaise ; ils leur servirent même d’écuyers jusqu’à la chambre où l’hôte les conduisit. Il se fit là bien des compliments, et nous ne fûmes pas peu étonnés quand nous apprîmes que c’était le comte de Polan lui-même et sa fille Séraphine que nous venions de délivrer. On ne saurait dire quelle fut la surprise de cette dame, non plus que celle de don Alphonse, lorsqu’ils se reconnurent tous deux. Le comte n’y prit pas garde tant il était occupé d’autres choses. Il se mit à nous raconter de quelle manière les voleurs l’avaient attaqué, et comment ils s’étaient saisis de sa fille et de lui, après avoir tué son postillon, un page et un valet de chambre. Il finit en nous disant qu’il sentait vivement l’obligation qu’il nous avait, et que, si nous voulions l’aller trouver à Tolède, où il serait dans un mois, nous éprouverions s’il était ingrat ou reconnaissant.

La fille de ce seigneur n’oublia pas de nous remercier aussi de son heureuse délivrance ; et, comme nous jugeâmes, Raphaël et moi, que nous ferions plaisir à don Alphonse si nous lui donnions le moyen de parler un moment en particulier à cette jeune veuve, nous y réussîmes en amusant le comte de Polan. Belle Séraphine, dit tout bas don Alphonse à la dame, je cesse de