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Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/44

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ressemblance entre lui et moi, cela lui inspira le dessein de me faire passer pour l’enfant de qualité, dans l’espérance qu’un jour je reconnaîtrais bien ce bon office. Mon père, qui n’était pas plus scrupuleux qu’un autre paysan, approuva la supercherie ; de sorte qu’après nous avoir fait changer de langes, le fils de don Rodrigue de Herrera fut envoyé, sous mon nom, à une autre nourrice, et ma mère me nourrit sous le sien.

Malgré tout ce qu’on peut dire de l’instinct et de la force du sang, les parents du petit gentilhomme prirent aisément le change. Ils n’eurent pas le moindre soupçon du tour qu’on leur avait joué, et jusqu’à l’âge de sept ans je fus toujours dans leurs bras. Leur intention étant de me rendre un cavalier parfait, ils me donnèrent toutes sortes de maîtres ; mais j’avais peu de disposition pour les exercices qu’on m’apprenait, et encore moins de goût pour les sciences qu’on me voulait enseigner. J’aimais beaucoup mieux jouer avec les valets, que j’allais chercher à tous moments dans les cuisines ou dans les écuries. Le jeu ne fut pas toutefois longtemps ma passion dominante ; je n’avais pas dix-sept ans que je m’enivrais tous les jours. J’agaçais aussi toutes les femmes du logis. Je m’attachai principalement à une servante de cuisine qui me parut mériter mes premiers soins. C’était une grosse joufflue, dont l’enjouement et l’embonpoint me plaisaient fort. Je lui faisais l’amour avec si peu de circonspection, que don Rodrigue même s’en aperçut. Il m’en reprit aigrement, me reprocha la bassesse de mes inclinations, et, de peur que la vue de l’objet aimé ne rendît ses remontrances inutiles, il mit ma princesse à la porte.

Ce procédé me déplut : je résolus de m’en venger. Je volai les pierreries de la femme de don Rodrigue ; et ce vol ne laissait pas d’être assez considérable ; puis, allant chercher ma belle Hélène, qui s’était retirée chez