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Page:Lewis - Le Moine, Tome 2, trad Wailly, 1840.djvu/17

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changement subit qui s’était opéré dans le caractère et les sentiments de Mathilde. Il y a peu de jours, elle paraissait la plus douce personne de son sexe, soumise à tout ce qu’il voulait, et le regardant comme un être supérieur. Maintenant elle avait pris dans les manières et le langage une sorte de courage et de virilité bien peu propres à plaire. Son ton n’était plus insinuant, mais impérieux. Il ne se trouvait pas en état de lutter d’arguments avec elle, et se voyait forcé de reconnaître l’infériorité de son jugement. Elle l’étonnait à chaque instant par de nouvelles preuves de force d’esprit ; mais ce qu’elle gagnait dans l’opinion de l’homme, elle le perdait, et au delà, dans l’affection de l’amant. Il regrettait Rosario, le tendre, le doux, le docile Rosario ; il était peiné de voir Mathilde dédaigner les vertus de son sexe, et lorsqu’il se rappelait ce qu’elle avait dit de la nonne condamnée, il ne pouvait s’empêcher de le trouver cruel et indigne d’une femme. La pitié est un sentiment si naturel, si approprié au caractère féminin, que c’est à peine un mérite pour une femme de l’éprouver ; mais en être dépourvue, est un crime énorme. Ambrosio ne pouvait pas pardonner à sa maîtresse de manquer de cette aimable qualité. Néanmoins, tout en la blâmant de son insensibilité, il reconnaissait la justesse de ses observations ; et quoiqu’il eût sincèrement pitié d’Agnès, il renonça à l’idée d’intervenir en sa faveur.

Près d’une heure s’était écoulée depuis que Mathilde était descendue dans les souterrains, et elle ne revenait pas. La curiosité d’Ambrosio était vivement excitée. Il s’approcha de l’escalier — il écouta — tout se taisait, sauf à de certains intervalles où il saisissait le son de la voix de Mathilde roulant dans ce labyrinthe de passages, et répété par l’écho des voûtes sépulcrales ; elle était à une