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Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/279

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tant où ils frôlent nos voitures. On voit des pansements blancs et d’autres absolument rouges. Mais, quand la troupe est passée, dans la lumière louche, on n’aperçoit plus qu’une houle lente de têtes et d’épaules.

Dans les yeux de certains de mes camarades qui hier ont vu la mort de si près, et qui ce matin sont encore las, gourds et tristes, j’ai surpris des regards d’envie.

Ils connaissent les ordres arrivés dans la nuit : reprendre les positions d’hier.

Ils n’ont pas peur ; mais l’habitude du danger, qui les a rendus braves, ne les empêche pas d’aimer la vie, cette vie qu’ils sentent bouillonner en eux et qui, tout à l’heure peut-être, se répandra, avec tout leur sang rouge, sur le champ de betteraves. Ils songent aux morts d’hier, au brigadier Gratien, au capitaine Legoff, un officier adoré de ses hommes, aux six servants de la 6e batterie, réduits au fond de leur tranchée à une bouillie sanglante.

C’est dans une heure comme celle-ci, à la fois terne et grave, quand le cahotement régulier des caissons ou le pas tranquille des chevaux, qui ne savent pas où ils vont, assoupissent les corps, que les regrets fouillent le plus douloureusement l’avenir rêvé, toutes les joies proposées, tout ce que le passé préparait de bonheur pour cet