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Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/32

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Dans le bureau on entendrait voler une mouche. J’ai un instant la vision d’un champ de bataille, de morts étendus au bord d’une fosse et qu’un sous-officier identifie à la hâte avant qu’on les ensevelisse. Ce n’est qu’une émotion très brève.

Avant tout, le Grand Événement rompt la monotonie de notre existence de caserne. On dirait que je ne sais quel aveuglement nous empêche d’envisager l’avenir au delà des préparatifs de départ. Cette insouciance m’étonne : je la partage pourtant.

Est-ce décision, courage ? Un peu, bien peu… Croyons-nous seulement à la guerre. Je n’en suis pas bien sûr. On ne peut imaginer ce qu’elle serait, on ne peut en jauger l’horreur. Elle ne nous angoisse pas.


Vu d’une fenêtre du quartier : l’homme, un jeune, que la mobilisation appelle dès le premier jour, vient de franchir le seuil de la maison. Il marche à reculons, les doigts au-dessus des yeux pour apercevoir, malgré le soleil, un visage chéri, là-haut, à l’une des fenêtres du second étage. Elle, blonde, très jeune, extrêmement pâle, derrière les rideaux de mousseline, le regarde s’en aller, n’osant pas sans doute montrer à celui qui part son visage bouleversé et ses yeux pleins de larmes.