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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/122

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THUCYDIDE, LIV. I.

d’honneurs que n’en obtinrent jamais tous les étrangers qui ont paru à Lacédémone. Et ne montrâmes-nous pas autant d’ardeur que d’audace, nous qui, sans recevoir aucun secours par terre, au moment où tout, jusqu’à nos frontières, était déjà soumis, résolûmes de quitter notre ville et de détruire nos demeures, non pour abandonner la cause de ce qui restait d’alliés, et leur devenir inutiles en nous dispersant, mais pour monter sur nos vaisseaux, et nous livrer aux dangers, sans aucun ressentiment de ce que vos secours ne nous avaient pas prévenus ? Nous pouvons donc nous vanter de vous avoir aussi bien servis que nous-mêmes. C’est de vos villes bien garnies d’habitans, et que vous étiez certains de retrouver, que vous êtes enfin venus nous secourir, avertis par vos périls bien plus que par les nôtres ; car, vous, on ne vous vit point paraître tant qu’Athènes existait encore : mais nous, nous élançant hors d’une ville qui n’était plus ; et pour cette Athènes, qui à peine existait pour nous en espérance, bravant les dangers, nous contribuâmes à vous sauver, en assurant notre propre salut. Mais si d’abord nous eussions obéi aux Mèdes, craignant, comme les Thébains, pour notre territoire ; ou si, nous croyant ensuite perdus, nous n’avions pas eu l’audace de monter sur nos vaisseaux, il vous eût été inutile de livrer un combat naval, puisque vous n’aviez pas une flotte capable de résister ; et, sans coup férir, le Mède eût vu ses projets tourner au gré de ses désirs.

Chap. 75. » Nous méritons donc, Lacédémoniens, en considération de notre dévouement et de la supériorité de nos vues, que les Hellènes ne regardent pas non plus d’un œil si jaloux l’empire que nous possédons. Cet empire, nous ne l’avons point ravi ; il a commencé pour nous à l’époque où vous refusâtes de combattre le reste des Barbares, lorsque les alliés, recourant à nous, nous prièrent eux-mêmes de prendre le commandement. Voilà ce qui nous mit dans la nécessité d’élever notre domination au point où elle est parvenue : ce fut d’abord, et surtout, par crainte ; ensuite pour nous faire respecter ; enfin pour notre intérêt. Nous ne pouvions plus nous croire en sûreté en nous relâchant de Notre pouvoir ; nous haïs d’un grand nombre, et forcés de réduire des villes déjà même soulevées ; nous qui ne comptions plus, comme auparavant, sur votre amitié ; nous objets de vos défiances et de vos inimitiés : en effet, c’eût été dans vos bras que se seraient jetés les révoltés. Qui, dans un grand péril, peut être blâmé d’assurer ses intérêts ?

Chap. 76. » Vous-mêmes, Lacédémoniens, n’avez-vous pas imposé dans le Péloponnèse, aux villes de votre domination, le régime qui vous est favorable ? Et si, dans le temps dont nous parlons, le commandement vous fût resté, devenus odieux comme nous, vous n’eussiez pas été, nous en sommes sûrs, moins sévères envers vos alliés ; contraints alors d’imprimer de la force à votre domination, ou de craindre pour vous-mêmes.

» Nous n’avons donc rien fait de surprenant, rien qui ne soit dans l’ordre des choses humaines, soit en acceptant l’empire qui nous était transmis, soit en refusant d’en relâcher les ressorts : nous avons cédé aux plus puissans mobiles, l’honneur, la crainte, l’intérêt. Ce n’est pas nous qui l’avons créée, elle a de tout temps existé, cette loi qui veut que le plus faible soit comprimé par le plus fort. Nous avons cru d’ailleurs être dignes de cet empire, et nous avons paru tels à vous-mêmes jusqu’à ce moment, où, par des calculs d’intérêt, vous met-