Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
THUCYDIDE, LIV. II.

commun appui ? Pourquoi vous laisser abattre, comme vous le faites aujourd’hui, par des malheurs domestiques, abandonner le salut commun, accuser tout ensemble et moi qui vous ai conseillé la guerre, et vous-mêmes qui, par votre propre jugement, avez sanctionné mon avis ?

» Au reste, l’homme sur qui tombe votre colère croit connaître et discuter aussi bien que qui que ce soit les grands intérêts de l’état ; il se croit ami de son pays et plus fort que tout l’or du monde : qualités dont la réunion est nécessaire à tout administrateur. En effet, avoir des connaissances sans le talent de les communiquer, c’est être au niveau de celui qui n’a pas d’idées : avec ce double avantage, mais sans de bonnes intentions, on n’en donnera pas de meilleurs conseils ; qu’on soit bien intentionné, mais accessible à la corruption, tout, par l’effet de ce seul vice, sera mis à prix d’argent. Si donc, sous ces divers rapports, vous m’avez jugé supérieur à d’autres, jusqu’à un certain point ; si, par suite de cette opinion, et sur mes conseils, vous avez décrété la guerre, quels reproches peuvent aujourd’hui m’être adressés ?

Chap. 61. » Lorsqu’on a le choix, et que d’ailleurs on est heureux, c’est une grande folie sans doute de faire la guerre. Mais si l’on est réduit à cette alternative forcée, de subir sans résistance le joug de ses voisins, ou de conserver son indépendance au prix de quelques dangers, serait-on moins répréhensible de fuir ces périls glorieux, que d’oser les affronter ? Pour moi, Athéniens, je suis toujours le même et je persiste dans mon premier sentiment. Vous, vous changez, parce qu’à l’époque où vous approuviez mes conseils nul malheur ne vous avait encore atteints. Ce sont les maux que vous souffrez qui amènent vos repentirs, et qui, en affaiblissant votre jugement, vous empêchent de goûter des raisons dont naguère la justesse vous frappait. L’aiguillon de la douleur présente se fait sentir a chacun ; le bien à venir est invisible à tous. Un revers imprévu autant que funeste vous atterre et vous rend incapables de soutenir vos premières résolutions : en effet, des maux soudains, imprévus, hors de toute combinaison, enchaînent le courage ; et c’est ce qui vous est arrivé en plusieurs circonstances, et surtout dans la maladie contagieuse qui nous afflige. Cependant, citoyens d’une grande république, élevés dans des sentimens dignes d’elle, vous devez avoir la volonté ferme de supporter les coups les plus terribles de l’adversité, et ne jamais perdre de vue vos hautes destinées. On se croit aussi fondé à mépriser le lâche qui reste au-dessous de sa propre gloire, qu’à haïr l’audacieux qui usurpe une gloire à laquelle il n’eut jamais droit. Oubliez donc vos maux particuliers, pour n’avoir d’autre pensée que celle du salut public.

Chap. 62. » Quant aux fatigues de la guerre, si vous craignez qu’elles ne se multiplient et ne se prolongent, sans pour cela nous donner enfin la supériorité, qu’il me soit permis de vous renvoyer aux considérations que je vous ai déjà plus d’une fois présentées, et par lesquelles je vous ai démontré votre erreur sur ce point. Ce que je veux encore vous rendre évident, c’est la grandeur que vous assure l’étendue de votre domination : bonheur dont vous jouissez sans jamais en avoir bien senti vous-mêmes tout le prix, et sur lequel je n’ai point insisté jusqu’ici dans mes discours. Aujourd’hui même je me serais abstenu d’entrer dans des détails peut-être trop fastueux, si je ne vous eusse vus plongés dans un abattement indigne de vous.