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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/175

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THUCYDIDE, LIV. II.

les calamités de la guerre que nous font les hommes. Tels étaient avant nous les principes de cette république : que leur maintien ne rencontre pas d’obstacles en vous et par vous. Sachez que le nom d’Athènes est célèbre dans l’univers, parce qu’elle ne céda jamais à l’adversité ; que c’est elle qui a fourni le plus de héros, enduré le plus de travaux guerriers ; qu’elle a possédé jusqu’à ce jour une immense puissance, dont le souvenir ineffaçable passera jusqu’à nos derniers neveux, quand bien même, à partir de ce moment, et suivant le cours ordinaire des choses humaines, qui tendent à dégénérer, elle viendrait à décroître. On dira qu’à la gloire d’être Hellènes, nous joignons celle de voir le plus grand nombre des Hellènes soumis à notre empire ; d’avoir soutenu de redoutables guerres contre les forces, ou divisées, ou réunies, de nos ennemis ; enfin d’être citoyens d’une république aussi riche que bien peuplée. L’homme inactif, je le sais, blâmera nos nobles travaux ; mais celui qui voudra se signaler par de glorieuses actions, nous prendra pour modèles, et s’il échoue, il se vengera par l’envie. Se voir en butte à la haine et traités pour le moment présent d’oppresseurs, tel est le destin de ceux qui ont la noble ambition de commander aux autres : mais pour de grands objets, consentir à provoquer l’envie, ce n’est pas entendre mal ses intérêts. En effet, la haine dure peu : on jette à l’instant même un grand éclat, et il reste pour l’avenir une gloire impérissable. Dès aujourd’hui donc, jugeant d’avance ce qui sera honorable pour l’avenir, ce qui pour le présent n’a rien de honteux, volez avec ardeur à cette double conquête. N’envoyez point de héraut aux Lacédémoniens, et gardez-vous de leur laisser voir que les calamités présentes vous abattent. Les états et les particuliers les plus forts sont ceux qui s’affligent le moins des revers, et qui savent les combattre avec le plus d’énergie. »

Chap. 65. Périclès, en s’exprimant ainsi, s’efforçait d’apaiser le ressentiment des Athéniens, et de les détourner de la pensée de leurs maux. Ils se rendirent à ses conseils en ce qui concernait les affaires publiques : ils n’envoyèrent plus de députations aux Lacédémoniens, et se portèrent avec plus d’ardeur à continuer la guerre. Mais, en particulier, ils s’affligeaient de leurs souffrances, le pauvre, parce que, possédant peu, il se voyait privé de ce peu ; le riche, parce qu’il perdait dans les campagnes des propriétés remarquables par la magnificence des édifices et par les raretés qui les embellissaient ; et, ce qui était plus dur encore, parce qu’ils avaient la guerre au lieu de la paix. La colère de tous contre Périclès ne fut apaisée que lorsqu’ils l’eurent condamné à une amende. Mais, peu de temps après, par une inconstance familière au peuple, on l’élut général, et tous les intérêts de l’état furent remis entre ses mains. C’est que le sentiment des maux particuliers que chacun avait soufferts commençait à s’émousser, et qu’on le jugeait supérieur à tous, dans les affaires où la république tout entière réclamait ses services. En paix, il avait gouverné sagement, et avait maintenu la sûreté de la patrie, que son administration avait élevée au plus haut degré de puissance ; et la guerre, dès qu’elle fut allumée, servit à démontrer avec quelle sagesse il avait calculé les forces de l’état.

Il ne survécut que deux ans et six mois ; et après sa mort, on sut encore mieux apprécier la justesse de sa prévoyance relativement aux événemens de la guerre. En effet, il avait dit qu’on aurait le dessus, mais à condition qu’on se tiendrait tranquille, tournant toutes