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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/247

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THUCYDIDE, LIV. IV.

mes, préférons la paix à la guerre, et rendons aux autres Hellènes le calme après tant d’orages. C’est vous qu’ils proclameront auteurs d’un si grand bienfait. Ils souffrent les maux de la guerre, sans savoir qui de vous ou de nous l’a provoquée. Mais que ce fléau vienne à cesser, comme c’est surtout de vous que dépend cet événement heureux, c’est sur vous aussi que portera la reconnaissance. Songez-y bien : il est en votre pouvoir de devenir amis des Lacédémoniens ; amitié d’autant plus inviolable, que vous l’aurez acceptée à leur sollicitation, par générosité, et non par contrainte. Et quels biens ne doivent pas résulter de notre union ! Lorsqu’une fois nos deux républiques auront rendu un même décret, avec quel respect le reste de l’Hellade, beaucoup plus faible, ne recevra-t-il pas les lois que nous aurons dictées de concert ! »

Chap. 21. Telles furent les importantes considérations présentées par les Lacédémoniens. Persuadés qu’avant cet événement les Athéniens eux-mêmes désiraient la trève, et que l’éloignement seul de Lacédémone pour cette trève y mettait obstacle, ils pensaient que, se voyant offrir la paix, ils la saisiraient avec ardeur et rendraient les prisonniers. Mais les vainqueurs, qui tenaient ceux-ci bloqués dans l’île, se croyaient toujours les maîtres de faire la paix dès qu’ils le voudraient ; et d’ailleurs ils portaient plus loin leurs vues ambitieuses. Le principal instigateur était Cléon, fils de Cléénète, qui avait alors tout crédit sur l’esprit de la multitude, dont il était l’idole et l’oracle. D’après ses conseils, le peuple répondit qu’avant tout il fallait que les prisonniers livrassent leurs armes et leurs personnes et fussent transportés à Athènes ; que là on rendrait aux Lacédémoniens les hommes qu’ils réclamaient, après qu’eux-mêmes auraient rendu Nisée, Péges, Trézène et l’Achaïe ; qu’ensuite on conclurait une trève aussi longue qu’il conviendrait aux deux républiques. Or, les places dont la restitution était exigée, Sparte ne les tenait pas à titre de conquête ; les Athéniens les avaient cédées par accommodement antérieur, à la suite de grands revers, à des époques où ils avaient eux-mêmes le plus grand besoin de trève.

Chap. 22. À cette réponse les ambassadeurs n’opposèrent aucune réclamation ; mais ils demandèrent qu’il fût élu des commissaires chargés de discuter et débattre les divers articles du traité qui serait dressé, après mûre délibération, sur les bases arrêtées de part et d’autre. Cléon s’éleva fortement contre cette proposition. « J’étais déjà bien convaincu, disait-il, que ces gens n’ont dans l’âme ni sincérité, ni justice ; mais ils viennent de se mettre entièrement à découvert, en refusant de traiter avec le peuple, et en voulant tenir conseil secrètement et avec un petit nombre de négociateurs. Si leurs vues sont saines et droites, qu’ils les exposent à l’assemblée générale. »

Les Lacédémoniens virent bien qu’il leur était impossible de s’expliquer devant la multitude. D’une part, ils craignaient que, si la détresse actuelle arrachait leur consentement aux conditions imposées, les alliés, malgré toute la peine qu’ils se seraient donnée, pour bien dire, ne leur fissent un crime d’avoir échoué ; de l’autre, le peuple leur paraissait trop mal disposé pour qu’ils pussent se flatter de le ramener aux propositions modérées qu’ils avaient faites. Ils partirent donc d’Athènes sans avoir rien conclu.

Chap. 23. À leur arrivée dans le camp, la trève, par le seul fait de ce retour, se trouvait rompue. Les Lacédémoniens,