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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/263

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THUCYDIDE, LIV. IV.

paroles ; que plutôt elles vous avertissent de songer aux moyens de salut qui vous restent. Si, dans vos entreprises, vous vous reposez sur le bon droit et la force, craignez d’être cruellement trompés dans votre attente. Combien de gens ont, justement, poursuivi leurs injustes agresseurs ! Combien d’autres ont espéré que leur puissance leur servirait de degré pour s’élever plus haut ! Mais aussi, vous le savez, souvent les premiers, loin d’écraser leurs ennemis, sont eux-mêmes devenus victimes ; et les seconds, au lieu de s’enrichir, ont perdu ce qu’ils possédaient. La vengeance qui veut punir une injure reçue, pour être juste, n’est pas pour cela sûre du succès : la puissance paraît autoriser des espérances, mais elle ne les réalise pas toujours. L’avenir est au pouvoir de la fortune : sa balance vacille encore et n’a pas pris son équilibre ; mais, pour les deux partis, son indécision même est le plus grand bien ; car la crainte, qui de part et d’autre est égale, fait qu’on s’attaque avec plus de circonspection.

Chap. 63. » Nous avons donc aujourd’hui deux motifs de crainte très fondés : l’incertitude d’un avenir sur lequel nous ne pouvons asseoir rien de stable, et la présence actuelle et redoutable des Athéniens. Que la considération de ces obstacles nous fasse abandonner ce qui pourrait manquer à l’accomplissement de nos desseins respectifs ; ne songeons qu’à éloigner de notre pays l’ennemi qui le menace. Notre intérêt nous l’ordonne ; concluons une paix définitive, ou du moins qu’une trève indéfiniment prolongée remette à un autre temps la décision de nos querelles intestines. En un mot, sachez qu’en suivant mon avis, chacun de nous habitera une ville libre, d’où, maîtres absolus, nous serons, par l’effet d’une vertueuse résolution, en état de rendre bienfait pour bienfait, injure pour injure. Mais si vous refusez de me croire, si nous obéissons, il ne sera plus question pour nous de punir un agresseur ; nous serons forcés à devenir, selon l’occasion, les amis de nos mortels ennemis, les ennemis de nos amis.

Chap. 64. » Je reviens à ce que j’ai dit au commencement de ce discours : représentant de toute la Sicile, et non moins en état d’attaquer moi-même que de repousser les attaques, je vous exhorte instamment à ouvrir les yeux sur vos vrais intérêts, à terminer tous vos différends, à ne pas soutenir contre vos ennemis une guerre déplorable, qui le deviendrait encore plus pour vous-mêmes. On ne me verra point, follement opiniâtre dans mes prétentions, vouloir exercer sur la fortune le même empire que sur ma volonté. Prêt à faire pour ma part toutes les concessions convenables, je pense que, d’eux-mêmes, les autres doivent en faire autant, et ne pas attendre que l’ennemi vienne les y contraindre. Ce n’est pas une honte que dans une même famille l’un cède à l’autre ; que, voisins, habitant le même pays, un pays environné par la mer, portant tous le nom de Siciliens, nous cédions sur quelque point les uns aux autres : Doriens à des Doriens, Chalcidiens à ceux qui ont même origine. Ne serons-nous pas toujours maîtres, s’il le faut, de recommencer la guerre, puis de conclure, dans de nouvelles conférences, de nouveaux traités de paix ? Mais, je le répète, si nous sommes sages, nous réunirons nos efforts pour repousser les étrangers qui s’apprêtent à nous attaquer, puisque, quand chaque membre en particulier est blessé, le corps entier est en péril ; et jamais nous n’appellerons ni des auxiliaires, ni des pacificateurs. En agissant ainsi, nous délivrerons la Sicile de deux fléaux bien funestes, des Athéniens et de la guerre