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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/288

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THUCYDIDE, LIV. IV.

ne s’était pas aperçu d’abord de leur mouvement ; ils le forcèrent à les suivre avant qu’il pût voir Brasidas : leurs camps étaient fort éloignés l’un de l’autre. Brasidas apprit au lever de l’aurore que les Macédoniens étaient partis ; qu’Arrhibée et les Illyriens approchaient. Il assembla ses forces, en fit un bataillon carré, plaça les troupes légères dans le centre, et résolut de partir. Pour éviter toute surprise, il donna l’emploi de coureurs à ses plus jeunes guerriers ; lui-même, avec trois cents hommes d’élite, ferma la marche pour protéger la retraite et faire face aux premiers qui viendraient l’attaquer. En attendant que l’ennemi pût l’atteindre, il profita du peu de temps qui lui restait pour adresser à ses troupes quelques mots d’encouragement ; il leur parla ainsi :

Chap. 126. « Péloponnésiens, si je ne soupçonnais pas que vous êtes effrayés du délaissement de Perdiccas et de la pensée que les ennemis qui approchent sont des barbares, et même assez nombreux, je ne songerais pas à vous présenter des exhortations et des avertissemens. Des alliés nous abandonnent ; de nombreux ennemis approchent : je vais, par des avis succincts, par de courtes exhortations, essayer de vous persuader de vérités importantes. Ce n’est pas la présence d’alliés, fidèles appuis dans chacun de vos combats, mais votre propre vertu, qui doit vous inspirer de la valeur. Le nombre des ennemis ne doit pas vous épouvanter, vous citoyens d’un pays où ce n’est pas la multitude qui commande au petit nombre, où le petit nombre au contraire commande à la multitude ; vous qui n’avez acquis la prééminence que par la supériorité dans les combats. Ces barbares, que vous craignez faute de les bien connaître, apprenez à les juger. D’après les combats que vous avez déjà livrés contre eux, en faveur des Macédoniens, d’après mes propres raisonnemens, et d’après les rapports certains qui m’ont été faits, sachez qu’ils ne sont point à redouter. Des ennemis véritablement faibles peuvent avoir une apparence de force ; mais instruit de ce qu’ils valent, on se défend avec plus de confiance, tandis que, si l’on ne connaît pas d’avance des ennemis d’une valeur à toute épreuve, on se portera contre eux avec trop de témérité. Ces barbares, pour qui ne les connaît pas, ne sont redoutables qu’autant de temps qu’on diffère de les attaquer ; leur multitude, leurs cris, inspirent la terreur ; à les voir agiter leurs armes avec une vaine jactance, ils ont quelque chose de menaçant : soutient-on leur attaque sans en être ébranlés, ils ne sont plus les mêmes. Comme ils ne gardent point de rangs, ils n’ont pas honte, aussitôt qu’on les presse, d’abandonner la place où ils combattaient. Parmi eux, la fuite étant réputée aussi honorable, aussi glorieuse que l’attaque, il n’est point d’épreuve pour le courage. Un combat dans lequel chacun ne prend d’ordre que de soi-même, fournira toujours des prétextes de se sauver par la fuite sans encourir de blâme. Ils trouvent plus sûr de nous inspirer de l’effroi en se tenant eux-mêmes loin du danger, que d’en venir aux mains ; car déjà, sans doute, ils nous auraient attaqués. Vous voyez donc clairement que ce qu’ils pourraient avoir pour vous de terrible, est en effet peu de chose, et que ce qui vous intimide n’est imposant qu’aux regards et à l’oreille. Quand ils viendront à la charge, recevez-les intrépidement, et quand le moment sera favorable, opérez lentement votre retraite, en bon ordre et sans rompre les rangs ; et bientôt vous serez en sûreté, et vous reconnaîtrez ce que sont, vis-à-vis de braves qui savent soutenir le premier choc, ces