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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/392

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THUCYDIDE, LIV. VII.

pas d’autres signaux à donner dans l’obscurité, et en même temps recevaient vigoureusement ce qui se portait contre eux. Mais les Athéniens se cherchaient eux-mêmes, et tous ceux qu’ils rencontraient, même amis, ils les prenaient pour des ennemis à la poursuite de ceux des leurs qui fuyaient. Faute d’autres moyens de se reconnaître, ils se demandaient à chaque instant le mot de ralliement, et en le demandant tous à-la-fois, ils se jetaient eux-mêmes dans une extrême confusion et apprenaient ce mot aux ennemis ; mais ils n’apprenaient pas de même celui des Syracusains, qui, victorieux et non dispersés, avaient moins de peine à se reconnaître. Se trouvaient-ils en force, l’ennemi qu’ils rencontraient et qui savait le mot, leur échappait : mais si eux-mêmes ne répondaient pas, on les massacrait. Ce qui leur nuisit le plus, ce fut le chant du péan qui, à peu près le même des deux côtés, les jetait dans l’incertitude. Les Argiens, les Corcyréens, et tout ce qu’il y avait de Doriens dans l’armée d’Athènes, ne pouvaient le chanter sans effrayer les Athéniens, qu’effrayait également celui des ennemis.

Le désordre une fois mis entre eux, partout où ils se rencontraient, ils ne s’en tenaient plus à s’effrayer, ils se chargeaient : on se battait amis contre amis, citoyens contre citoyens, et l’on avait peine à se séparer. La descente d’Épipoles étant étroite, la plupart, poursuivis, se jetaient du haut des roches escarpées et périssaient. Ceux qui, sans accident, parvinrent à descendre dans la plaine, se sauvèrent presque tous à leur camp, surtout les soldats de la première armée, qui connaissaient mieux le pays ; mais plusieurs des derniers arrivés, se trompant de chemin, errèrent ça et là dans les champs. Le jour venu, la cavalerie syracusaine les poursuit, les enveloppe, les massacre.

Chap. 45. Le lendemain les Syracusains dressèrent deux trophées : l’un à Épipoles, par où les ennemis étaient montés ; l’autre à l’endroit où les Béotiens avaient les premiers résisté. Les Athéniens demandèrent et obtinrent la permission d’enlever les morts. Eux et leurs alliés perdirent beaucoup d’hommes, mais encore plus d’armes ; car de ceux qui avaient été forcés de se précipiter, sans bouclier et sans armes, du haut des rochers, les uns avaient péri, d’autres s’étaient sauvés.

Chap. 46. Animés par un succès inespéré, les Syracusains retrouvèrent leur premier courage, et envoyèrent Sicanus, avec quinze vaisseaux, à Agrigente, pour gagner à leur parti cette république, déchirée par des factions, tandis que Gylippe parcourait une seconde fois l’intérieur de la Sicile, pour en amener des troupes. Depuis l’affaire d’Épipoles, ils espéraient enlever de vive force les retranchemens de l’ennemi.

Chap. 47. Cependant les généraux Athéniens délibérèrent sur le malheur qu’ils venaient d’éprouver, et sur l’état de faiblesse où, à tous égards, l’armée se trouvait réduite. Ils ne pouvaient se dissimuler leurs mauvais succès, et voyaient les soldats excédés de leur séjour en Sicile, et tourmentés par la maladie, qui avait une double cause : on était dans la saison où il y a le plus de malades, et le lieu où l’on campait était marécageux et malsain. Tout d’ailleurs paraissait désespéré. Dans de telles conjonctures, Démosthène pensait qu’il ne fallait pas rester davantage : malheureux dans son attaque d’Épipoles, il se déclara pour le départ, ne voulant pas même qu’il fût différé davantage, pendant qu’on pouvait encore et faire le trajet et forcer le passage, du moins avec les vaisseaux qui venaient d’arriver. Il importait plus,