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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/479

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XÉNOPHON, LIV. I.

plus les vertus d’un grand roi. Dès les premiers temps de sa vie, élevé avec son frère et d’autres enfans, il passait pour l’emporter en tout genre sur ses compagnons ; car tous les fils des Perses de la première distinction reçoivent leur éducation aux portes du palais du roi. Ils y prennent d’excellentes leçons de sagesse et n’y peuvent voir ni entendre rien de malhonnête. Ils observent ou on leur dit que les uns sont distingués par le roi, les autres disgraciés et privés de leurs emplois, en sorte que dès leur enfance ils apprennent à commander et à obéir. Cyrus était regardé alors comme celui des enfans de son âge qui montrait le plus de disposition à s’instruire. Ceux d’une naissance moins distinguée n’obéissaient pas avec tant d’exactitude aux vieillards. Il témoigna ensuite le plus d’ardeur pour l’équitation, et passa pour mener le mieux un cheval. On jugea qu’il s’adonnait et s’appliquait plus qu’aucun autre aux exercices d’un guerrier, à lancer des flèches et des javelots. Lorsque son âge le lui permit, il aima la chasse avec passion, et personne ne fut plus avide des dangers qu’on y court. Un jour il ne voulut pas fuir un ours qui revenait sur lui. L’ayant au contraire attaqué, il fut arraché de son cheval par cette bête féroce, en reçut des blessures dont il lui restait des cicatrices apparentes, mais finit par le tuer, et fit un sort digne d’envie à celui des chasseurs qui était arrivé le premier à son secours.

Envoyé ensuite dans l’Asie-Mineure par son père, qui lui donna le gouvernement de la Lydie, de la grande Phrygie, de la Cappadoce, et le commandement général de toutes les troupes qui doivent s’assembler dans la plaine de Castole ; il fit voir d’abord qu’il se faisait un devoir sacré de ne jamais violer un traité, de ne jamais manquer à ses conventions à ses promesses. Voilà pourquoi et les villes dont le gouvernement lui était commis, et tous les particuliers avaient confiance en lui. Si quelqu’un avait été son ennemi, il ne craignait plus, après s’être réconcilié avec Cyrus, que ce prince violât le traité pour satisfaire sa vengeance. C’est aussi par cette raison que lorsqu’il fit la guerre à Tissapherne, toutes les villes, excepté Milet, aimèrent mieux obéir à Cyrus qu’au satrape, et Milet ne redoutait ce prince que parce qu’il ne voulait point abandonner les bannis. En effet, il déclara qu’ayant été une fois leur ami, il ne cesserait jamais de l’être, quand même leur nombre diminuerait et leurs affaires tourneraient plus mal, et sa conduite confirma cette promesse. Quiconque lui faisait du bien ou du mal, il affectait de le vaincre en bons ou en mauvais procédés, et l’on rapporte de lui ce souhait : « Puissé-je vivre assez long-temps pour rendre au double les injures et les bienfaits ! » C’est le seul de notre siècle à qui tant d’hommes se soient empressés de livrer leurs biens, leurs villes et leurs personnes.

On ne lui reprochera pas de s’être laissé narguer par les scélérats et les malfaiteurs. Il les punissait avec la plus grande sévérité. On voyait souvent le long des chemins fréquentés des hommes mutilés de leurs pieds, de leurs mains, de leurs yeux, en sorte que dans le gouvernement de Cyrus tout Grec ou Barbare qui ne violait point les lois pouvait voyager sans crainte, aller où il voulait et porter tout ce qui lui convenait. On convient qu’il honorait singulièrement tous ceux qui se distinguaient à la guerre. La première qu’il eut à soutenir fut contre les Pisidiens et les Mysiens. Il entra avec ses troupes dans leur pays, et tous ceux qu’il vit se montrer de bonne grâce dans les occasions périlleu-