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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/497

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XÉNOPHON, LIV. II.

cellentes. L’audace, en présence de l’ennemi, leur était devenue une vertu familière, et la crainte d’être punies par leur chef les avait singulièrement disciplinées. Tel était Cléarque lorsqu’il commandait ; mais il passait pour ne pas aimer à être commandé par un autre. Il avait environ cinquante ans quand il mourut.

Proxène de Béotie, dès qu’il sortit de l’enfance, conçut l’ambition de devenir capable des plus grandes choses. Pour satisfaire ce désir, il se mit à l’école de Gorgias de Léontium. Quand il eut pris de ses leçons, se croyant en état de commander, et s’il devenait ami des grands, de payer par ses services leurs bienfaits, il joignit Cyrus, et s’associa à l’expédition de ce prince. Il espérait y acquérir une grande réputation, un grand pouvoir, de grandes richesses. Mais s’il conçut ces désirs, il prouva évidemment qu’il ne voulait rien obtenir par des moyens bas et injustes. Il croyait que ce n’était que par des voies droites et honnêtes qu’il fallait parvenir à son but, et que si elles ne l’y menaient pas, il valait mieux n’y jamais atteindre. Il ne lui manquait rien pour commander de braves et d’honnêtes gens ; mais il ne savait inspirer aux subalternes, ni respect ni crainte. Que dis-je ? Il avait plus l’air de respecter ses soldats que d’être respecté d’eux. On voyait qu’il craignait plus de s’en faire haïr qu’ils ne craignaient de lui désobéir. Il croyait que, pour bien commander, et pour s’en faire la réputation, il suffisait de donner des louanges à qui se conduisait avec bravoure, et d’en refuser à qui tombait en faute. De là, parmi ceux qui étaient à ses ordres, tout ce qui avait des sentimens de probité et d’honneur lui était affectionné, tous les méchans complotaient contre lui, et tâchaient de tirer parti de sa facilité. Il mourut âgé d’environ trente ans.

Menon de Thessalie était possédé d’une soif insatiable de l’or, et ne la cachait pas. Il désirait le commandement pour s’emparer de plus de trésors ; les honneurs, pour gagner davantage. Il ne voulait être ami des gens les plus puissans que pour commettre impunément des injustices. Il regardait le parjure, le mensonge, la fourberie comme le chemin le plus court qui menât à l’objet de ses désirs. Il traitait de bêtise la simplicité et la sincérité. On voyait clairement qu’il n’aimait personne, et s’il se disait l’ami de quelqu’un, il n’en cherchait pas moins ouvertement à lui nuire. Jamais sa raillerie ne tomba sur un ennemi, et il ne parlait point des gens avec qui il vivait familièrement sans se moquer d’eux. Ce n’était point à envahir le bien des ennemis, qu’il dirigeait ses projets. Il jugeait difficile de prendre à qui se tenait sur ses gardes. Il pensait avoir seul remarqué qu’il était plus aisé de dépouiller un ami, et de s’approprier ce qu’on ne songeait point à défendre. Il redoutait tout ce qu’il connaissait de parjures et de méchans, comme gens cuirassés contre son attaque. Mais il tâchait de profiter de la faiblesse dont il taxait les gens pieux et qui faisaient profession de sincérité. Comme il est des hommes qui étalent avec complaisance leur piété, leur franchise, leur droiture, Menon se targuait de son art à tromper, à inventer des fourberies, à tourner en ridicule ses amis. Il regardait comme n’ayant pas reçu d’éducation quiconque n’était pas fin et rusé. Essayait-il d’obtenir le premier rang dans l’amitié d’un homme, il croyait qu’il ne manquerait pas de captiver son esprit en décriant près de lui ses amis les plus intimes. C’était en se rendant complice des crimes de ses soldats, qu’il travaillait à s’assurer leur soumission. Pour se faire considérer et cultiver, il