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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/525

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XÉNOPHON, LIV. IV.

garde qu’ils y avaient laissée ne fût attaquée en leur absence ; ils firent aussitôt sonner l’appel, se retirèrent, et dans le même jour furent de retour au camp.

On jugea à propos, dès le lendemain, de se mettre en marche et de faire la plus grande diligence avant que l’ennemi se ralliât et occupât les défilés ; on plia sur-le-champ les équipages, et l’armée qui était conduite par beaucoup de guides, ayant marché à travers la neige épaisse dont le pays était couvert, arriva le même jour au-delà du sommet des montagnes, où Téribaze devait attaquer les Grecs, et y campa. De là on fit trois marches dans le désert le long de l’Euphrate, qu’on passa ayant de l’eau jusqu’au nombril. On disait que la source de ce fleuve n’était pas éloignée, puis on fit quinze parasanges en trois jours dans une plaine couverte de beaucoup de neige. La troisième journée fut dure pour le soldat : un vent du nord impétueux qui lui soufflait au visage le brûlait et le glaçait jusqu’aux os. Un des devins fut d’avis de sacrifier au vent ; on lui immola des victimes, et la violence avec laquelle il soufflait parut évidemment cesser aussitôt. L’épaisseur de la neige était d’une orgye : beaucoup de bêtes de somme, d’esclaves, et environ trente soldats y périrent. On passa la nuit autour de grands feux, car il y avait beaucoup de bois sur le lieu où on s’arrêta, mais les derniers arrivés n’en trouvèrent plus. Les premiers qui avaient allumé les feux ne permettaient à ceux-ci de s’en approcher qu’après s’être fait donner par eux du froment ou quelque autre chose à manger. On se fit part les uns aux autres des provisions qu’on avait ; où l’on allumait du feu, la neige se fondait, et il se faisait de grands trous jusqu’à la terre : c’était là qu’on pouvait mesurer la hauteur de la neige.

On marcha tout le jour suivant dans la neige, et beaucoup de Grecs étaient malades de besoin. Xénophon, qui était à l’arrière-garde, en ayant trouvé plusieurs qui ne pouvaient se soutenir, ne concevait pas quel était leur mal. Un homme qui en avait l’expérience lui apprit que cet accident était certainement cause par la faim, et que s’ils avaient à manger, ils seraient bientôt debout. Xénophon alla aux équipages et donna lui-même à ces malheureux, ou leur fit porter par des soldats agiles à la course, tout ce qu’on trouva de vin et de vivres ; dès qu’ils avaient mangé quelque chose, ils se levaient et continuaient leur route. Chirisophe qui était à la tête arriva à la nuit tombante à un village, et rencontra en avant des murs, près d’une fontaine, des femmes et des filles du lieu qui portaient de l’eau. Elles demandèrent aux Grecs qui ils étaient ; l’interprète leur répondit en langue perse que c’étaient des troupes qu’Artaxerxès envoyait au satrape. Elles répliquèrent qu’on ne trouverait pas le satrape dans ce village, mais qu’il n’était qu’à un parasange de là. Comme il était tard, les Grecs entrèrent dans les murs à la suite de ces femmes, et allèrent chez celui qui avait la principale autorité du lieu. Chirisophe fit loger tout ce qui avait pu suivre de l’armée ; le reste des soldats, auxquels il avait été impossible d’arriver, passa la nuit sans feu et sans nourriture ; et il y en eut qui périrent. Quelques ennemis s’étaient réunis et poursuivaient les Grecs : ces Barbares prenaient les équipages qui restaient forcément arriérés, puis se battaient les uns contre les autres pour le partage du butin. On laissa en arrière aussi des soldats que la neige avait aveuglés, ou à qui le froid excessif avait fait geler des doigts des pieds. Le moyen de préserver ses yeux de l’éclat de la neige était de mettre devant quelque chose de noir quand on marchait, et l’on empê-