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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/527

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XÉNOPHON, LIV. IV.

jours ; son mari était allé chasser le lièvre, et ne se trouvant point dans le village, il ne fut pas pris. Les maisons étaient pratiquées sous terre, et quoique leur ouverture ressemblât à celle d’un puits, l’étage inférieur était vaste. On avait creusé d’autres entrées pour les bestiaux, mais les hommes descendaient par des échelles. Il y avait dans ces espèces de cavernes des chèvres, des brebis, des bœufs, des volailles et des petits de toutes ces espèces : tout le bétail y était nourri au foin. On trouva du froment, de l’orge, des légumes et de grands vases qui contenaient de la bière faite avec de l’orge. Ce grain y était mêlé encore et s’élevait en surnageant jusqu’au bord de ces vases qui étaient pleins ; à leur surface nageaient aussi des chalumeaux, les uns plus petits, les autres plus grands : il fallait, quand on avait soif, en porter un à sa bouche et sucer. Cette boisson était forte si l’on n’y mêlait de l’eau ; mais on la trouvait très agréable dès qu’on s’y était accoutumé.

Xénophon fit souper le magistrat avec lui, lui dit de se rassurer, lui promit que s’il rendait service à l’armée en lui servant de guide, jusqu’à ce qu’elle arrivât dans une autre province, on ne lui enlèverait pas ses enfans, et qu’on aurait soin avant de partir de remplir sa maison de vivres en dédommagement de ce qu’on aurait consommé. L’Arménien promit ce qu’on exigeait de lui, et pour commencer à montrer son zèle, il découvrit où l’on avait enfoui des tonneaux de vin. Les soldats passèrent cette nuit à leur cantonnement, plongés dans le repos et dans l’abondance ; ils tinrent le magistrat sous bonne garde, et eurent l’œil sur ses enfans. Le lendemain Xénophon prit avec lui le magistrat et alla trouver Chirisophe. Quand un village était près de son chemin, il le traversait. Partout il trouva les Grecs faisant des festins et livrés à la joie ; partout on chercha à le retenir, et on lui offrit à dîner ; partout il vit servir sur la même table de l’agneau, du chevreau, du porc frais, du veau, de la volaille, et une grande quantité de pains de froment et de pains d’orge. Quand par bienveillance pour un ami on le pressait de boire, c’était en le traînant à une chaudière ; il fallait qu’il courbât sa tête et humât sa boisson comme un bœuf. On permit au magistrat du village que menait Xénophon de prendre tout ce qu’il souhaiterait : il n’accepta aucun présent ; mais dès qu’il voyait un de ses parens, il le prenait avec lui.

Quand Xénophon et sa suite furent arrivés au village de Chirisophe, ils trouvèrent aussi les Grecs de ce cantonnement à table, couronnés de guirlandes de foin sec, et se faisant servir par des enfans arméniens vêtus d’habillemens barbares : on leur désignait par signes comme à des sourds ce qu’ils avaient à faire. Chirisophe et Xénophon, après les premiers complimens d’amitié, firent demander par celui de leurs interprètes qui parlait la langue perse, au magistrat prisonnier, dans quel pays ils étaient. Il répondit en Arménie. On lui demanda encore pour qui étaient élevés les poulains qu’on avait trouvés. Il répliqua que c’était le tribut qu’on payait au roi ; il ajouta que la province voisine était habitée par les Chalybes, et indiqua le chemin qui y conduisait. Xénophon le ramena ensuite à sa famille, et lui donna un vieux cheval qu’il avait pris, lui recommandant de l’engraisser et de l’immoler ; car Xénophon avait su que ce cheval était consacré au soleil ; et comme la route l’avait fatigué, il était à craindre qu’il ne mourût. Ce général prit un poulain pour lui-même et en donna un à chacun des généraux et des chefs de lochos. Les chevaux dans ce pays étaient