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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/537

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XÉNOPHON, LIV. V.

nous en faut, et par cette prévoyance les moyens de nous embarquer ne nous manqueront probablement pas. » Ceci fut ratifié encore. « Examinez de plus, dit-il, s’il n’est pas juste que l’armée nourrisse tous les matelots de ces vaisseaux tant qu’ils resteront ici, et que l’on convienne avec eux d’une somme pour nous transporter en Grèce, de sorte qu’ils ne nous soient pas utiles sans y trouver leur profit. » On approuva encore cette proposition. « Je suis aussi d’avis, dit Xénophon, de prévoir le cas où nous ne pourrions d’aucune manière nous procurer assez de bâtimens, et d’annoncer aux villes maritimes qu’elles aient à réparer les chemins ; car j’entends dire qu’ils sont en mauvais état. La terreur de nos armes et surtout le désir d’être débarrassés de nous les rendront dociles à cette invitation. »

On s’écria alors qu’il ne fallait pas songer à prendre cette précaution. Xénophon sentit l’inconséquence des Grecs, et ne proposa point d’aller aux voix ; mais il persuada en secret aux villes de travailler volontairement à la réparation des chemins, en leur exposant que l’armée s’éloignerait plus vite si les routes étaient ouvertes et commodes. Les habitans de Trébizonde prêtèrent un vaisseau à cinquante rames, que les Grecs firent commander par Dexippe Lacédémonien. Dexippe ne s’occupa pas à arrêter des bâtimens, et prenant la fuite secrètement avec le vaisseau qu’il montait, il sortit du Pont-Euxin ; il reçut dans la suite la peine de sa trahison, car ayant intrigué en Thrace à la cour de Seuthès, il y fut tué par Nicandre Lacédémonien. Les Grecs empruntèrent aussi un vaisseau à trente rames, et l’envoyèrent en mer aux ordres de Polycrate Athénien, qui ramena près du camp tous les bâtimens qu’il put arrêter : on en tira la cargaison qu’on mit sous bonne garde pour que rien ne se perdît, et les bâtimens servirent au transport des troupes. Pendant que ceci se passait, les Grecs allaient piller le pays ennemi : les uns étaient heureux, les autres ne trouvaient rien. Cléænète ayant mené son lochos et celui d’un autre chef attaquer un poste de difficile accès, y fut tué, et beaucoup de Grecs périrent avec lui.

Quand les vivres manquèrent aux environs du camp, en sorte que le soldat ne pouvait en aller prendre et revenir le même jour, Xénophon se munit de guides à Trébizonde, conduit la moitié de l’armée contre les Driliens, et laisse l’autre moitié pour garder le camp ; car les Colques qu’on avait chassés de leurs maisons s’étaient rassemblés en grand nombre et occupaient les hauteurs. Les habitans de Trébizonde ne menaient jamais l’armée grecque où il lui eût été le plus facile de s’approvisionner, parce que c’eût été chez des peuples de leurs amis ; mais ils la conduisirent de grand cœur contre les Driliens dont ils avaient à se plaindre. Des nations riveraines du Pont-Euxin, celle-ci est la plus belliqueuse ; elle habite un pays montueux et dont les chemins sont presque impraticables.

Lorsque les Grecs y furent entrés, les Driliens en se retirant brûlèrent tous les lieux dont ils jugeaient que l’ennemi pouvait s’emparer : il ne resta rien à prendre que quelques porcs, bœufs et autres bestiaux échappés aux flammes. Il y avait un lieu qu’on nommait leur métropole ; ils s’y étaient tous rassemblés. À l’entour régnait un ravin très profond, et les abords de la place étaient difficiles. Les armés à la légère coururent sept ou huit stades en avant de l’infanterie, passèrent le ravin, et voyant des bestiaux et beaucoup d’autre pillage à faire, attaquèrent la place. Un grand nombre