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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/546

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XÉNOPHON, LIV. V.

tion de votre gouverneur, et que nous puissions les transporter quand il nous conviendra, nous avons mis des gardes aux portes. Le reste de l’armée, vous le voyez, couche au bivouac, garde exactement ses rangs, est toujours prêt à reconnaître un bienfait et à repousser une insulte. Vous nous menacez, et prétendez qu’il ne dépend que de vous de faire alliance contre nous avec Corylas et les Paphlagoniens. Nous ferons la guerre, si vous nous y contraignez, et à vous, et à eux ; nous nous sommes déjà éprouvés contre des forces bien plus nombreuses ; mais, peut-être, si nous le jugions à propos, serait-ce à nous que s’allierait ce chef des Paphlagoniens. Le bruit est venu jusqu’à nos oreilles, qu’il souhaitait ardemment être maître de votre ville et des postes fortifiés sur le bord de la mer. Nous tâcherons de nous concilier son amitié en le servant dans ses projets. »

Les autres députés qui accompagnaient Hécatonyme parurent alors très mécontens du discours qu’il avait tenu. Un d’eux s’avança et dit aux Grecs qu’ils n’étaient point venus pour leur déclarer la guerre, mais pour leur donner au contraire des témoignages d’amitié. « Si vous venez à Sinope, nous vous y recevrons, et vous offrirons les dons de l’hospitalité. Nous allons dès maintenant ordonner aux habitans de Cotyore de vous fournir les secours qui dépendent d’eux ; car nous voyons que vous ne nous ayez dit rien que de vrai. » Bientôt après la ville de Cotyore envoya des présens, et les généraux reçurent de leur côté comme leurs hôtes les députés des Sinopéens. Ils s’entretinrent ensemble sur ce qui concernait les uns et les autres. Différentes matières, mais surtout des questions sur le reste de la route et sur les services mutuels qu’on pouvait se rendre, furent le sujet de cet entretien. Ainsi finit la journée.

Le lendemain les généraux convoquèrent les soldats ; ils jugèrent convenable d’appeler les députés et de délibérer avec eux sur les moyens d’achever la route que l’armée avait encore à faire pour arriver en Grèce ; car s’il fallait aller par terre, il paraissait utile d’avoir des guides sinopéens, vu la connaissance qu’ils avaient de la Paphlagonie, et les Grecs devaient avoir bien plus besoin encore de la ville de Sinope, s’ils voulaient s’embarquer : elle seule paraissait en état de leur fournir la quantité de bâtimens nécessaires pour transporter toute l’armée. On appela donc les députés pour délibérer avec eux ; on leur dit que comme Grecs, le premier service qu’ils devaient rendre à des compatriotes était de se montrer bien intentionnés pour eux, et de leur donner les meilleurs conseils.

Hécatonyme se leva ; il commença par une apologie du discours qu’il avait tenu la veille ; il dit que le propos qui lui était échappé, que la ville de Sinope pouvait se liguer avec les Paphlagoniens, ne signifiait point qu’elle voulût faire avec ces peuples la guerre à l’armée grecque, mais au contraire que pouvant songer à l’alliance des Barbares, sa patrie préférerait celle des Grecs. Ceux-ci l’ayant pressé de leur donner son avis sur le point discuté, après avoir invoqué les Dieux, il parla ainsi : « Puisse-t-il m’arriver toutes sortes de prospérités si je vous conseille le parti que je crois le meilleur ! Puisse m’arriver le contraire si je vous parle autrement ! Je regarde cette délibération comme sainte. Lorsque l’événement aura prouvé que je vous ai bien conseillés, beaucoup de vous autres Grecs me louerez, beaucoup me maudirez si je vous engage à prendre un parti qui vous soit funeste.

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