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XÉNOPHON, LIV. VI.

de la flûte ; ils sautaient légèrement et s’élevaient fort haut ; ils tenaient en main leurs sabres nus, paraissaient s’en servir et combattre. Enfin l’un des danseurs frappa l’autre, et tout le monde crut qu’il l’avait tué ; mais c’était un artifice innocent. Les Paphlagoniens jetèrent un grand cri. Le vainqueur dépouilla son adversaire des armes qu’il portait, et sortit en chantant Sitalcès. D’autres Thraces emportèrent le vaincu comme mort ; il n’avait cependant pas reçu le moindre mal. Ensuite les Ænians et les Magnésiens se levèrent et commencèrent, revêtus de leurs armes, une pantomime qu’on appelle la danse des semeurs ; en voici la description : un des acteurs met ses armes à terre à côté de lui, sème ensuite un champ et conduit une charrue, se retournant souvent, comme un homme qui a peur ; un voleur s’avance vers lui ; l’autre, dès qu’il l’aperçoit, saute sur ses armes, court au voleur, et se bat contre lui pour défendre ses bœufs : tous les mouvemens se faisaient en cadence, au son de la flûte. Enfin le voleur a le dessus, garrote le laboureur et emmène son attelage. D’autres fois le laboureur était victorieux ; il liait au voleur les mains derrière le dos, l’attachait à côté de ses bœufs, et le faisait marcher ainsi devant lui.

Un Mysien entra ensuite sur la scène ; il tenait, dans chacune de ses mains, un bouclier léger ; quelquefois il s’en servait en dansant, comme s’il eût eu à se défendre contre deux adversaires ; quelquefois, comme s’il n’eût eu affaire qu’à un seul. Souvent il tournait et faisait le saut périlleux sans lâcher ses boucliers : c’était un spectacle agréable qu’il donnait ; il finit par danser à la manière des Perses, frappant d’un bouclier sur l’autre ; il se mettait à genoux, se relevait, et exécutait tous ces mouvemens en mesure et au son de la flûte. Des Mantinéens et quelques autres Arcadiens se levèrent ensuite, et parurent après lui sur la scène ; ils étaient couverts des plus belles armes qu’ils avaient pu trouver ; ils s’avancèrent en cadence, les flûtes jouant une marche guerrière ; ils chantèrent le péan, puis dansèrent comme dans les cérémonies religieuses. Les Paphlagoniens qui étaient présens, s’étonnaient de ce que toutes les danses s’exécutaient par des hommes armés de toutes pièces. Le Mysien, qui vit leur surprise, ayant engagé un des Arcadiens à permettre qu’on fit paraître une danseuse qu’il avait pour esclave, l’habilla le plus élégamment qu’il put, lui mit à la main un bouclier léger, et la fit entrer ; elle dansa légèrement la pyrrhique : on lui donna beaucoup d’applaudissemens. Les Paphlagoniens demandèrent aux Grecs si leurs femmes combattaient avec eux. On leur répondit que c’étaient elles qui avaient repoussé le roi du camp lorsqu’il était venu piller les équipages. Telle fut la fin des amusemens de cette nuit.

Le lendemain, on admit les députés à l’assemblée de l’armée ; elle fut d’avis de convenir avec les Paphlagoniens qu’il ne se commettrait désormais aucune hostilité de part ni d’autre. Les députés repartirent ensuite. Les Grecs, jugeant qu’ils avaient assez de bâtimens, s’embarquèrent. Le vent était favorable ; ils longèrent ainsi, pendant un jour et pendant une nuit, la côte de Paphlagonie qu’ils avaient à leur gauche, arrivèrent le lendemain à Sinope, et mouillèrent dans le port de cette ville, qu’on nomme Harmène. La ville de Sinope est bâtie dans la Paphlagonie ; ses habitans sont une colonie de Milet ; ils envoyèrent aux Grecs, pour dons de l’hospitalité, trois mille médimnes de farine et quinze cent cérames de vin. Chirisophe y arriva