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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/564

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XÉNOPHON, LIV. VI.

guides, et s’étant avancés, ils se trouvèrent sans le savoir sur le tertre, où les Arcadiens avaient été investis. Ils n’y virent plus ni amis, ni ennemis, et ils en instruisirent aussitôt Xénophon et sa division. Il ne restait sur cette colline que des vieilles femmes, des vieillards, quelques mauvais moutons et bêtes à corne qu’on y avait abandonnés. On fut d’abord étonné, et l’on ne concevait pas ce qui pouvait être arrivé ; on s’en informa ensuite aux malheureux qui avaient été laissés sur le lieu ; on apprit d’eux que les Thraces s’étaient retirés dès le soir. Ces vieillards ajoutèrent que le corps des Grecs s’était mis en mouvement le matin, mais qu’ils ignoraient sur quelle direction il s’était porté.

Xénophon et ses troupes ayant reçu ces informations, dînèrent, puis on fit plier les équipages et on se remit en marche dans le dessein de rejoindre au plus tôt les autres Grecs au port de Calpé. Chemin faisant, les soldats trouvèrent la trace des Arcadiens et des Achéens qui retournaient à ce port. Ayant suivi la même route, ils se revirent enfin les uns les autres avec transport, et s’embrassèrent comme frères. Les Arcadiens demandèrent aux soldats de Xénophon pourquoi ils avaient éteint les feux. « Ne les voyant plus allumés, ajoutèrent-ils, nous avons cru d’abord que vous attaqueriez pendant la nuit les Thraces. L’ennemi a eu, à ce que nous présumons, la même idée, et l’effroi qu’il en a conçu l’a fait décamper ; car c’est vers cette heure à-peu-près qu’a commencé sa retraite. Comme vous n’arriviez point, le temps qu’il vous fallait pour nous rejoindre étant plus qu’écoulé, nous avons présumé qu’instruits de notre situation vous aviez été frappés de terreur vous-mêmes, et que vous vous étiez retirés vers la mer. Nous nous sommes déterminés à ne pas rester en arrière de vous ; c’est pour exécuter ce projet que nous avons marché jusqu’ici. »

On resta tout le jour au bivouac sur le rivage de la mer, près du port. Le lieu qu’on nomme port de Calpé est situé dans la Thrace asiatique. Cette Thrace est sur la droite des navigateurs qui entrent dans le Pont-Euxin, et s’étend du Bosphore jusqu’au territoire d’Héraclée. Pour aller de Byzance à cette ville, un long jour suffit aux galères qui ne se servent que de leurs rames. On ne trouve entre deux aucune ville grecque, ni alliée des Grecs. Tout le pays est habité par les Thraces ou par les Bithyniens. On dit que les Grecs qui échouent sur leur côte ou qui tombent par quelque autre accident entre leurs mains, essuient toutes sortes d’outrages et éprouvent la cruauté de ces peuples. Le port de Calpé est à moitié chemin d’Héraclée à Byzance pour les navigateurs. Un promontoire s’y avance au milieu des flots ; le côté qui termine vers la pleine mer est un rocher à pic qui n’a pas moins de vingt orgyes de haut dans l’endroit où il est le moins élevé. Un isthme de quatre plèthres de largeur tout au plus joint ce promontoire à la terre, et l’espace renfermé entre la mer et ce passage étroit pourrait contenir une ville peuplée de dix mille habitans. Le bassin du port est sous le rocher même : du côté de l’ouest, un autre rivage l’environne ; une source abondante d’eau douce sort de terre près de la mer, et dominée par le promontoire dépend de ceux qui l’occupent. Les bords mêmes de la mer fourniraient une grande quantité de beaux bois de construction, et une infinité d’autres bois garnissent le pays. La montagne qui prend naissance au port, s’étend dans l’intérieur des terres jusqu’à vingt stades environ. C’est un terroir découvert et fertile, où l’on ne trouve point

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