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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/571

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XÉNOPHON, LIV. VI.

maraude ; d’autres avaient couru sur la montagne voisine ; ils avaient pris beaucoup de menu bétail. Craignant qu’il ne soit confisqué, ils s’adressent à Dexippe, à ce même Dexippe qui s’était enfui de Trébizonde avec le navire à cinquante rames qu’on lui avait confié. Ils lui proposent de sauver leur butin, sous condition qu’il en gardera une partie et qu’il leur rendra le reste.

Dexippe écarte aussitôt des soldats qui entouraient déjà cette maraude, et criaient qu’elle appartenait à la masse commune ; puis il va trouver Cléandre et lui raconte qu’on veut lui ravir le bétail ; Cléandre lui ordonne de lui amener le coupable : Dexippe met la main sur un Grec et le conduit à Cléandre. Agasias, qu’ils rencontrent par hasard sur leur passage, enlève à Dexippe ce soldat qui se trouvait être de son lochos ; le reste des Grecs qui étaient présens commence à jeter des pierres à Dexippe et à l’appeler traître. Beaucoup des matelots de Cléandre furent saisis de frayeur, et coururent vers la mer ; lui-même prit la fuite. Xénophon et les autres généraux continrent les soldats ; ils dirent à Cléandre que ce n’était rien, et qu’une loi portée par toute l’armée avait occasionné ce tumulte : mais Cléandre, excité par Dexippe, et piqué d’avoir montré lui-même de la frayeur, répondit qu’il allait mettre à la voile, et faire publier dans toutes les villes qu’on fermât les portes aux Grecs qui avaient suivi Cyrus, et qu’on les traitât en ennemis. Les Lacédémoniens avaient alors la plus grande autorité dans toute la Grèce.

Les Grecs sentirent qu’ils s’étaient fait une affaire fâcheuse, et supplièrent Cléandre de ne point exécuter ces menaces. Il les assura qu’il ne s’en désisterait que si on lui livrait et le premier qui avait jeté des pierres, et celui qui avait arraché à Dexippe le soldat arrêté. Agasias, qu’il désignait par ces paroles, était de tout temps ami de Xénophon, et c’était par cette raison-là même que Dexippe l’avait accusé. Les généraux crurent que, dans l’embarras où l’on se trouvait, il fallait convoquer l’armée. Il y en avait parmi eux qui s’inquiétaient peu de la colère de Cléandre ; mais Xénophon regardait l’affaire comme sérieuse ; il se leva et parla en ces termes :

« Soldats, je n’estime pas qu’il soit peu important pour nous que Cléandre nous abandonne dans les dispositions qu’il annonce. Nous voici déjà près des villes grecques, et les Lacédémoniens sont à la tête de toute la Grèce ; un seul homme de leur nation a assez de crédit dans ces villes pour faire adopter ce qu’il propose ; si donc Cléandre nous ferme d’abord les portes de Byzance, puis défend aux autres gouverneurs de nous recevoir dans leurs places, nous accusant d’être sans loi et de désobéir aux Lacédémoniens, le bruit en viendra à la fin aux oreilles d’Anaxibius qui commande les forces navales de cette nation. Il nous deviendra également difficile et de séjourner ici, et de nous embarquer pour en sortir ; car les Lacédémoniens ont maintenant l’empire de la terre et de la mer. Il ne faut pas, par attachement pour un ou deux Grecs d’entre nous, exclure tous les autres de revoir leur patrie ; vaut mieux obéir à tout ce que peuvent prescrire les Lacédémoniens, d’autant que les villes où nous avons pris naissance leur sont soumises. On m’a rapporté que Dexippe disait sans cesse à Cléandre qu’Agasias n’aurait jamais fait une telle action, s’il n’en eût pas reçu l’ordre de moi. Je vais donc vous décharger de l’accusation qu’on vous intente, vous tous, et Agasias lui-même, pourvu qu’il dise que