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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/573

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XÉNOPHON, LIV. VI.

notre armée, soyez bien convaincu que je ne me serais permis rien de ce que j’ai fait ; songez de plus que si vous prononcez en ce moment l’arrêt de mon trépas, vous aurez immolé un brave, pour venger un lâche et un scélérat. »

Cléandre écouta ce discours, et répondit qu’il ne prétendait point approuver Dexippe, s’il avait commis ces forfaits : qu’il ne pensait pas cependant que quand même ce Lacédémonien serait un homme abominable, on fût autorisé à user de violence envers lui. « Vous devriez en ce cas le juger comme vous demandez vous-mêmes à l’être aujourd’hui, et lui faire subir ensuite la peine due à son crime. Retirez-vous maintenant, et laissez-moi Agasias. Trouvez-vous à son jugement lorsque je vous ferai avertir ; je n’accuse plus l’armée ni aucun autre Grec, puisque celui-ci convient d’avoir arraché le soldat des mains de Dexippe. » Le soldat dit alors : « Vous présumez peut-être, Cléandre, que l’on ne me conduisait vers vous que parce que j’étais en faute ; je n’ai frappé personne ; je n’ai point jeté de pierres ; j’ai dit seulement que le bétail devait être confisqué au profit de l’armée, car les soldats ont fait la loi, que si l’un d’eux va en particulier à la maraude lorsque l’armée sort des retranchemens, ce qu’il prend appartient à toute l’armée. J’ai cité cette loi. Sur ce propos, Dexippe m’a saisi et m’entraînait, afin que personne n’osât parler et qu’il pût sauver le butin, s’en approprier une partie, et rendre l’autre aux maraudeurs, au mépris du décret de l’armée. — Puisque vous êtes l’homme dont il s’agit, dit Cléandre, restez ici afin que nous délibérions aussi sur ce qui vous concerne. »

Cléandre et les siens dînèrent ensuite. Xénophon convoqua l’armée, et lui conseilla d’envoyer à Cléandre des députés, pour lui demander la grâce des deux Grecs qu’il avait retenus. On arrêta qu’on députerait vers lui les généraux, les chefs de lochos, Dracontius de Sparte, et quiconque fut jugé capable de le fléchir. On les chargea de tâcher, par toutes les suppliques possibles, de l’engager à relâcher les deux prisonniers. Xénophon y étant allé, lui dit : « Vous avez en votre pouvoir les accusés, Cléandre ; l’armée vous a permis d’ordonner de leur sort et du sien ; elle vous demande maintenant et vous conjure instamment de lui rendre ces deux Grecs, et de ne les pas faire périr : ils méritent cette grâce par toutes les fatigues qu’ils ont essuyées pour le salut de l’armée. Si elle obtient de vous cette faveur, elle vous promet de la reconnaître ; et si vous daignez nous commander, et que les Dieux nous soient propices, nous vous montrerons que nos soldats sont disciplinés, et qu’avec l’aide du ciel et l’obéissance qu’ils ont pour leur général, ils ne craignent aucun ennemi ; vous êtes même supplié, quand vous aurez pris le commandement, de nous mettre tous à l’épreuve, nous, Dexippe, les Grecs ; de reconnaître ce que vaut chacun de nous, et de le traiter ensuite selon qu’il le mérite. » Cléandre répliqua à ce discours : « Par les fils de Léda ! ma réponse ne se fera pas attendre : je vous rends les deux Grecs ; j’irai moi-même vous trouver ; et si les Dieux ne s’y opposent, ce sera moi qui vous ramènerai en Grèce. Vos discours me prouvent bien le contraire de ce qu’on m’avait dit de vous, que vous cherchiez à détacher votre armée de l’obéissance due aux Lacédémoniens. »

On donna des louanges à la clémence de Cléandre, et on retourna au camp