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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/575

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XÉNOPHON, LIV. VII.

jugera à propos, à ceux qui doivent rester avec les troupes et qui ont du crédit sur elles. »

Alors tous les Grecs passèrent à Byzance. Anaxibius ne leur donna point la paie qu’ils espéraient, mais fit publier par un héraut qu’ils prissent leurs armes, leur bagage, et sortissent de la ville, comme s’il eût voulu en faire la revue et les congédier. Les soldats s’affligeaient de n’avoir point d’argent pour acheter des vivres pendant la route qui leur restait à faire, et ne se pressaient pas de charger les équipages.

Xénophon, que les liens de l’hospitalité attachaient à Cléandre, gouverneur de Byzance, alla le voir, et l’embrassa comme prêt à s’embarquer pour retourner dans sa patrie. « Ne quittez point l’armée, lui dit ce Lacédémonien, ou vous donnerez des sujets de plainte contre vous ; on vous impute déjà la lenteur avec laquelle vos soldats évacuent cette place. — Je n’en suis nullement la cause, répliqua Xénophon ; mais ils ont besoin de se pourvoir de vivres, et n’ont pas de quoi en acheter ; de là vient leur mauvaise humeur et la peine qu’ils ont à sortir de ces murs. — Je vous conseille néanmoins, ajouta Cléandre, de les accompagner hors d’ici, comme si vous vouliez marcher avec eux, et de ne vous en séparer que lorsque toute l’armée sera au-delà de nos remparts. — Allons donc trouver Anaxibius, repartit Xénophon, et convenons-en avec lui. » Ils allèrent chez ce général, et lui répétèrent ce qu’ils avaient décidé entre eux. Il exhorta Xénophon à suivre ce projet, à faire au plus tôt sortir les équipages et les soldats, et lui dit de leur annoncer aussi que celui qui ne se trouverait pas à la revue et au dénombrement qu’on allait faire, déclarerait par là même qu’il était en faute. Les généraux sortirent donc les premiers de la place ; des soldats les suivirent. Enfin presque toute l’armée était hors des murs, à l’exception de quelques Grecs qui restaient encore dans Byzance. Étéonique se tenait à la porte pour la fermer et mettre la barre, dès que le dernier homme serait passé.

Anaxibius ayant assemblé les généraux et les chefs de lochos, leur dit : « Prenez des vivres dans les villages de Thrace ; vous y trouverez beaucoup d’orge, de froment et d’autres provisions ; après vous en être munis, marchez vers la Chersonèse ; Cynisque vous y donnera la paie. » Quelques soldats entendirent ces mots, et les rapportèrent à l’armée, ou peut-être même fut-ce quelque chef de lochos qui commit cette indiscrétion. Les généraux prenaient des informations sur Seuthès, demandaient s’il était allié ou ennemi, s’il fallait traverser le Mont Sacré, ou, faisant un détour, passer dans l’intérieur de la Thrace.

Pendant qu’ils tenaient ces discours, le soldat saute à ses armes et court de toute sa force vers Byzance comme pour rentrer dans les murs de cette ville. Étéonique et ceux qui étaient avec lui voyant les hoplites accourir, ferment les portes et mettent la barre ; les soldats frappaient aux portes et criaient que c’était une injustice atroce qu’on commettait envers eux de les chasser hors des remparts où ils seraient à la merci de l’ennemi ; ils menaçaient de fendre les portes à coups de hache si on ne les leur ouvrait de bonne grâce. Il y en eut qui coururent à la mer et qui, à l’extrémité du mur, grimpèrent sur les pierres qui s’avançaient dans les flots, et se jetèrent dans la place ; d’autres soldats qui n’en étaient point sortis, voient ce qui se passe aux portes, coupent avec leurs haches les barres de derrière, ou-