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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/624

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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

en devait agir ainsi à l’égard de ses amis. — Ainsi, mon fils, tu implores les Dieux avec plus de confiance, parce que tu leur rends assidûment hommage ; tu espères en obtenir des faveurs, parce que tu ne te reproches point de les avoir négligés. — Oui, mon père, je me persuade que je suis aimé des Dieux. — Te le rappelles‑tu, mon fils ? nous convenions encore, qu’en quelque situation qu’ils nous placent, l’homme instruit agira toujours mieux que l’ignorant, que l’homme actif fera plus que l’indolent, que l’homme sage vivra plus heureux que l’imprudent ; qu’enfin l’on ne doit solliciter les faveurs des dieux, qu’en se montrant digne de les recevoir.

» — Je me le rappelle très bien, et j’étais forcé d’en convenir. Tu ajoutais encore, qu’il n’est pas même permis de demander aux Dieux de sortir victorieux d’un combat à cheval, lorsqu’on n’a point appris l’équitation ; de l’emporter sur d’habiles archers, quand on ne sait pas tirer de l’arc ; de gouverner sagement un vaisseau, lorsqu’on ignore la manœuvre ; d’avoir une abondante moisson, quand on n’a point semé ; d’échapper aux périls de la guerre, lorsqu’on ne pourvoit pas à sa défense. Ces vœux, disais‑tu, sont contraires à l’ordre établi par la divinité ; il est aussi juste qu’ils ne soient point exaucés, qu’il l’est parmi nous que ceux qui forment une demande contraire à la loi, essuient un refus.

» — Mon fils, as‑tu oublié ce que nous disions encore, que si un citoyen qui se comporte en homme vertueux, et qui par son industrie vit dans l’aisance avec sa famille, mérite des éloges, on doit certainement de l’admiration à celui qui, se trouvant chargé de commander aux autres, sait pourvoir abondamment à leurs besoins, et les maintenir dans le devoir ! — Je m’en souviens à merveille. Il me semblait, comme à toi, qu’il n’y a rien de plus difficile que de bien gouverner ; et je me confirme dans cette pensée, quand je réfléchis sur le gouvernement en lui‑même. Mais lorsque je jette les yeux sur les autres nations, et que je considère quels chefs elles ont à leur tête, surtout quels ennemis nous avons à combattre, il me semble qu’il serait honteux de les redouter, et de ne pas marcher avec assurance à leur rencontre : tous, à commencer par nos alliés que voici, s’imaginent que la différence du prince à ses sujets, consiste en ce que le prince vit à plus grands frais, qu’il a plus d’argent dans son trésor, qu’il dort plus long-temps et travaille moins. Selon moi, au contraire, le prince doit se distinguer de ses sujets, non par une vie plus oisive, mais par l’activité, la prévoyance, l’amour du travail.

» — Mais, mon fils, il est des obstacles qui viennent, non des hommes, mais des choses mêmes, et qu’il n’est pas facile de surmonter. Tu sens, par exemple, que ton commandement expirerait bientôt, si ton armée manquait de munitions. — Oui : mais Cyaxare a dit qu’il en fournirait pour toutes les troupes qui partiraient d’ici. — Quoi ! tu pars plein de confiance dans les trésors de Cyaxare ? — Assurément. — Connais‑tu bien l’état de ses finances ? — Non, en vérité. — Ainsi tu comptes sur ce que tu ne vois pas. Sais‑tu donc que tu éprouveras une foule de besoins ; qu’à présent même tu es forcé de faire de grandes dépenses ? — Je le sais. — Mais, si les fonds manquent à Cyaxare ou qu’il veuille manquer de parole, que deviendra ton armée ? sans doute, les affaires iront mal. — De grâce, mon père, si tu sais quelque moyen qui soit en mon pouvoir pour assurer la subsistance d’une armée, enseigne‑le moi, tandis que nous sommes encore en pays ami. — Quoi ! mon fils, tu me demandes quels sont les moyens