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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/626

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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

ruses de la guerre, qu’elles sont mal disciplinées ? Lorsque tu m’eus démontré que l’ordre de bataille n’est qu’une petite partie de la science du général, je te demandai si tu pouvais m’enseigner les autres ; tu me conseillas d’aller m’entretenir avec les militaires les plus célèbres dans leur art, et de les interroger sur chacun de ces objets. Depuis ce moment j’ai fréquenté ceux que j’entends citer comme les plus expérimentés.

» Quant aux vivres, je crois suffisans ceux que Cyaxare s’est engagé de nous fournir. Pour ce qui concerne la santé, comme j’ai ouï dire et vu par moi‑même que les généraux, à l’exemple des villes qui ont des médecins pour les cas de maladie, en mènent toujours quelques‑uns à la suite de l’armée pour traiter les soldats, je me suis occupé de cet objet dès le moment de ma nomination, et je me flatte, mon père, que j’aurai avec moi les plus habiles gens. — Semblables aux ouvriers qui raccommodent les habits déchirés, ces hommes dont tu parles, mon fils, ne réparent que la santé des malades ; mais il est un soin digne de toi, celui de prévenir les maladies. — Mon père, que faire pour y réussir ? — Lorsque tu te proposeras de séjourner long-temps dans un pays, tu commenceras par choisir un lieu sain pour camper : avec de l’attention tu n’y seras pas trompé ; car le peuple répète sans cesse que l’air est salubre en tel endroit, malsain dans tel autre. Pour en juger sûrement, examine la constitution physique des habitans et la couleur de leur teint. Mais ce n’est pas assez de connaître la nature du climat ; songe comment tu entretiens toi‑même ta santé. — D’abord, je ne surcharge point mon estomac, ce qui est très nuisible ; ensuite j’aide ma digestion par l’exercice. Je crois ce régime excellent pour conserver ma santé et me fortifier. — Eh bien ! gouverne ainsi tes soldats. — Mon père, leur restera‑t‑il du temps pour les exercices ? — Il le faut, puisque cela est nécessaire. Une armée bien tenue doit toujours s’occuper, soit à nuire à l’ennemi, soit à se procurer quelque avantage ; car s’il est malaisé de nourrir un seul homme oisif, et plus encore, mon fils, une famille entière, rien de plus difficile que de faire subsister dans l’inaction une armée composée d’un nombre infini de bouches, et qui entre ordinairement en campagne avec peu de vivres qu’elle ne sait point économiser. Une armée ne doit donc jamais rester oisive. — Ainsi, mon père, un général indolent, selon toi, ne vaut pas mieux qu’un laboureur paresseux. — Sans doute : mais j’affirme qu’un général actif saura, à moins que quelque dieu ne s’y oppose, approvisionner l’armée et y entretenir la santé. — À l’égard des manœuvres militaires, je pense, mon père, que pour y former les soldats et les trouver tout exercés dans l’occasion, il serait à propos d’établir des jeux où l’on proposerait des prix aux vainqueurs. — Excellente idée ! mon fils ; en la suivant tu verras tes troupes exécuter leurs évolutions avec cette précision que tu remarques dans un chœur de danse ou de musique. — Des espérances flatteuses ne seraient‑elles pas un bon moyen d’exciter l’ardeur des troupes ? — Oui ; mais ne ressemble pas au chasseur qui pour animer ses chiens les rappellerait toujours du ton dont il leur parle quand il a vu la bête. Les chiens d’abord accourent à sa voix ; mais s’il les a trompés, ils finissent par ne plus lui obéir, lors même qu’il découvre le gibier. Il en est de même des espérances : un homme qui aurait souvent donné de fausses promesses finirait par ne plus persuader, lors même qu’il serait de bonne foi. Un général, mon fils, ne doit rien avancer dont il ne soit parfaite-

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