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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/639

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XÉNOPHON.

deux soldat ; il n’aime pas les ouvrages pénibles : s’il m’embrassait, il mériterait dispense de toute espèce d’exercices. »

Chap. 3. On passait ainsi, dans la tente de Cyrus, du sérieux au plaisant. Lorsqu’on eut fait les troisièmes libations et qu’on eut imploré les Dieux, on sortit de la tente pour s’aller coucher.

Le lendemain, le prince assembla toutes les troupes, et leur tint ce discours : « Amis, le moment du combat approche ; les ennemis s’avancent : si nous remportons la victoire (et il faut que nous en parlions sans cesse et que nous l’obtenions), nous avons dans nos mains leurs biens et leurs personnes ; mais vaincus, tous nos biens deviennent le prix du vainqueur. Sachez donc qu’une armée dont les soldats se persuadent qu’on ne peut réussir qu’autant que chacun paiera de sa personne, aura de prompts et brillans succès, parce qu’alors on ne néglige rien de ce qu’il faut faire. L’armée, au contraire, où chaque guerrier, se reposant sur son compagnon, s’imaginerait qu’il y a sans lui assez d’autres bras pour agir et combattre, ne tarderait pas à éprouver tous les malheurs ensemble. Ainsi le veut la Divinité ; elle donne des maîtres à ceux qui ne savent pas se commander eux-mêmes de glorieux travaux. Que quelqu’un d’entre vous se lève, et qu’il dise par quel moyen il pense qu’on excitera plus efficacement le courage : sera-ce en accordant plus de distinctions à ceux qui auront essuyé plus de fatigues et de dangers, ou en montrant à tous qu’il est indifférent d’être lâche, puisque tous obtiendront des récompenses égales ? »

À ces mots se leva l’un des homotimes, Chrysante, qui sous un extérieur peu avantageux, cachait une rare prudence : « Cyrus, en nous invitant à une pareille délibération, votre avis n’est pas, sans doute, qu’il faille traiter les lâches comme les braves ; vous vouliez plutôt éprouver si quelqu’un d’entre nous ne se trahirait pas lui-même en faisant soupçonner par son discours, qu’il prétend, sans action remarquable, partager également les fruits de la valeur des autres. Pour moi, comme je ne suis ni vigoureux ni agile, je sens que si l’on me juge par ce que je puis faire, je ne serai dans d’armée ni le premier ni le second, ni le millième, ni peut-être même le dix-millième ; mais en même temps je suis persuadé que si les plus robustes remplissent leur devoir avec zèle, j’obtiendrai la portion de récompense que j’aurai méritée. Si au contraire les lâches demeurent dans l’inaction, et que les guerriers braves et robustes agissent mollement, je crains d’avoir plus de part que je ne voudrais à toute autre chose qu’aux fruits de la victoire. »

Après ce discours de Chrysante, Phéraulas se leva ; c’était un Perse de la classe du peuple, mais né avec des sentimens au-dessus de sa condition, d’une belle figure, et très agréable au prince qui l’avait attaché à sa personne. « Cyrus, dit-il, et vous Perses ici présens, il me semble qu’enfin nous pouvons tous également disputer le prix de la vertu ; je vois que la nourriture est la même pour nous, nous sommes tous admis à la familiarité du prince, on nous excite tous par les mêmes motifs à bien faire, on recommande également à tous d’obéir aux chefs, et j’observe qu’une prompte obéissance est d’un grand mérite auprès de Cyrus. À l’égard de la bravoure, on ne dira pas qu’elle soit faite pour les uns et non pour les autres ; il est d’avance décidé qu’elle honore également tous ceux en qui elle se trouve. Quant à la manière de combattre, celle qui nous est prescrite,