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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/655

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XÉNOPHON.

portait portait avec divers présens, l’or que Cyrus avait déjà refusé. Ce prince s’en étant aperçu, « Non, leur dit-il, vous n’obtiendrez pas de moi que je reçoive dans mes expéditions un tel prix de mes bienfaits : vous, princesse, retournez dans votre palais, emportez vos trésors, et ne souffrez pas que votre mari les enfouisse ; employez-en une partie à faire un magnifique équipage de guerre pour votre fils ; que le reste vous procure à vous, à vos époux, à vos filles et à vos autres fils, plus de jouissances, plus d’agrémens, durant le cours de votre vie : car enfin on ne doit enterrer que les morts. » Il dit, et reprit sa route, accompagné du roi et de tous les Arméniens, qui le conduisirent jusqu’à la frontière, en l’appelant sans cesse leur bienfaiteur, le meilleur des hommes. Le roi, qui jouissait de la paix dans ses états, ajouta de nouvelles troupes à celles qu’il avait déjà données ; et Cyrus sortit moins riche des sommes qu’il avait reçues, que des trésors dont sa bienfaisance pourrait disposer au besoin.

L’armée campa ce jour-là sur la frontière : le lendemain il renvoya son armée et son argent à Cyaxare, qui suivant sa promesse, s’était approché ; pour lui, partout où il trouvait des bêtes fauves, il prenait avec Tigrane et quelques seigneurs perses, le divertissement de la chasse. Lorsqu’il fut arrivé en Médie, il distribua à chaque taxiarque une somme suffisante pour accorder des distinctions aux soldats qui les avaient méritées ; persuadé que si chaque officier mettait sa troupe sur un bon pied, l’armée entière se trouverait dans le meilleur état. Voyait-il quelque chose qui pût dans son armée paraître avec avantage, il se la procurait pour la distribuer à ceux qu’il en estimait les plus dignes. Des troupes bien entretenues, sont, disait-il, l’ornement du général. Pendant qu’il faisait ses distributions, Cyrus adressa ce discours aux taxiarques, aux chefs d’escouade, et à tous ses autres officiers : « Mes amis, nous avons de justes sujets de nous livrer à la joie, puisque nous sommes dans l’abondance, et que nous pourrons désormais accorder des récompenses proportionnées au mérite de chacun. Mais n’oublions jamais par quels moyens nous avons acquis tant de biens. Avec un peu de réflexion, vous sentirez que nous en sommes redevables à nos veilles, à nos travaux, à notre célérité, à notre supériorité sur l’ennemi. Persévérez dans ces sentimens, convaincus que la soumission, la patience, la fermeté dans les dangers, conduisent à des plaisirs purs, au bonheur. »

Trouvant alors ses soldats assez endurcis au travail pour supporter les fatigues de la guerre, assez aguerris pour mépriser l’ennemi, bien exercés au maniement des armes, adroits à s’en servir, et accoutumés à la subordination, il résolut de former incessamment quelque entreprise. Il n’ignorait pas qu’un général, en temporisant, a souvent perdu le fruit des plus grands préparatifs : il voyait d’ailleurs, que l’émulation à disputer le prix des exercices, devenue trop vive parmi ses soldats, dégénérait en jalousie. Il prit donc le parti de les mener à l’ennemi. Il savait qu’un sentiment d’affection mutuelle attache l’un à l’autre des hommes qui partagent les mêmes périls : bien loin de porter envie à celui qui a de plus belles armes, à celui qui a la passion de la gloire, on le loue, on l’affectionne, on ne voit plus en lui que ce qu’il fait pour le bien général. Après avoir donc armé ses soldats le mieux qu’il put, et les avoir rangés en bataille, il appela les myriarques, les chiliarques, les taxiarques et les chefs d’escouade. Ces officiers n’entraient point dans les rangs : s’ils al-