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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/668

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LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

ailleurs on pliait le bagage ; les uns détachaient précipitamment les armes chargées sur les bêtes de somme ; d’autres s’armaient, ou sautaient sur leurs chevaux, ou leur mettaient la bride ; ceux-là faisaient monter leurs femmes dans les chariots, ceux-ci se chargeaient de leurs effets les plus précieux, comme pour les sauver ; on en surprenait qui travaillaient à les enfouir : mais la plupart cherchaient leur salut dans la fuite. On s’imagine aisément qu’ils firent tout, excepté de se défendre ; ils périssaient sans coup férir.

Comme on était en été, Crésus, roi de Lydie, avait fait partir ses femmes la nuit dans des chariots, afin que la fraîcheur leur rendît le voyage moins incommode ; il les suivait avec sa cavalerie. Le roi de la Phrygie, située sur les bords de l’Hellespont, avait fait de même : mais lorsque ces deux princes eurent appris des fuyards, qui les avaient atteints, ce qui s’était passé, ils se mirent à fuir à bride abattue. Cependant les Hyrcaniens tuèrent les rois des Cappadociens et des Arabes, qui n’avaient pu s’éloigner, et qui firent bonne résistance, quoiqu’ils n’eussent pas eu le temps de prendre leurs armes. La plus grande perte fut du côté des Assyriens et des Arabes, qui étant dans leur pays, n’avaient pas pressé leur marche. Tandis que les Mèdes et les Hyrcaniens, usant du droit des vainqueurs, poursuivaient les ennemis, Cyrus ordonna aux cavaliers restés près de lui d’investir le camp, et de tuer tous ceux qu’ils en verraient sortir armés : quant à ceux qui n’en sortaient pas, cavaliers, peltastes et archers, il fit publier qu’ils apportassent leurs armes liées en faisceaux, et laissassent les chevaux au piquet devant les tentes, sous peine de mort en cas de désobéissance. Les cavaliers perses, l’épée à la main, investirent le camp. Ceux des ennemis qui avaient des armes, les apportèrent dans un lieu désigné ; et des soldats préposés par le général, y mirent le feu.

Cyrus n’ignorait pas que ses troupes en partant ne s’étaient point pourvues de munitions de bouche, sans lesquelles il n’est possible ni de s’engager dans une expédition militaire, ni de tenter aucune autre entreprise. Comme il songeait aux moyens de s’en procurer abondamment et promptement, il se dit à lui-même qu’une armée en campagne avait toujours à sa suite des valets et des pourvoyeurs, tant pour soigner les tentes, que pour fournir aux soldats, lorsqu’ils y rentrent, les choses nécessaires ; et il jugea que vraisemblablement c’était surtout de cette sorte de gens qu’on venait de prendre dans le camp ennemi, parce qu’ils étaient occupés des bagages. Il fit donc publier, par un héraut, que tous les pourvoyeurs se présentassent sur-le-champ ; que s’il en manquait quelqu’un, le plus ancien de la tente vînt à sa place ; menaçant les rebelles de toute sa sévérité. Les pourvoyeurs, voyant que leurs maîtres eux-mêmes se soumettaient, se hâtèrent d’obéir. Quand ils furent arrivés, Cyrus ordonna que ceux qui dans leurs tentes, avaient des vivres pour plus de deux mois, eussent à s’asseoir : puis les ayant comptés des yeux, il donna le même ordre à ceux qui n’avaient des vivres que pour un mois ; et presque tous se trouvèrent dans ce cas. S’étant instruit ainsi de l’état des provisions : « Si vous craignez, leur dit-il, les mauvais traitemens, et que vous vouliez gagner nos bonnes grâces, ayez soin de préparer dans chaque tente, pour les maîtres et les valets, le double de ce que vous fournissiez chaque jour ; que rien ne manque pour un bon repas, car nos gens reviendront aussitôt qu’ils auront