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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/674

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LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

car plusieurs prisonniers tentèrent de s’évader. On en saisit quelques-uns : Cyrus les fit étrangler, et laissa l’argent qu’ils emportaient aux soldats qui les avaient pris. Il arriva de là qu’on n’aurait pas depuis rencontré un seul homme qui sortît de nuit. C’est ainsi que les Perses passèrent cette nuit. Quant aux Mèdes, ils burent, mangèrent, dansèrent au son des flûtes, et se rassasièrent de plaisirs : on avait trouvé dans le camp de quoi occuper agréablement des gens qui ne voulaient pas dormir.

Or, la nuit même du départ de Cyrus, Cyaxare, en réjouissance de la victoire, s’était enivré avec ses courtisans. Comme il entendait un grand bruit, il ne doutait pas que presque tous les Mèdes ne fussent restés. Mais ce bruit était causé par les valets, qui avaient pris sur les Assyriens du vin et des vivres, et qui en l’absence de leurs maîtres, avaient bu outre mesure. Quand il fut jour, le roi, étonné que personne ne se présentât à sa porte, excepté ceux qui avaient soupé avec lui, et apprenant que les Mèdes avaient quitté le camp avec leurs cavaliers, sortit de sa tente, et reconnut qu’on lui avait dit la vérité. Alors il entra dans une étrange colère contre Cyrus et les Mèdes, qui s’en étaient allés et l’avaient laissé seul. Comme il était dur et violent, il chargea un de ceux qui se trouvaient près de lui de prendre quelques cavaliers, de courir après les troupes qui avaient suivi Cyrus, et de dire de sa part à ce prince : « Je ne croyais pas, Cyrus, que vous fussiez capable de me traiter si légèrement, ni que vous, Mèdes, connaissant le projet du prince, vous voulussiez y concourir par votre abandon. Que Cyrus revienne s’il veut ; mais vous, revenez en diligence. » Tel fut l’ordre de Cyaxare. « Seigneur, dit l’envoyé, comment trouver les Mèdes ? — Comment ont fait Cyrus et ceux qui l’accompagnent, répliqua le roi, pour trouver les Assyriens ! J’ai ouï dire, répondit l’envoyé, que quelques Hyrcaniens, déserteurs de l’armée ennemie, sont venus ici et lui ont servi de guides. » Cyaxare, beaucoup plus irrité de ce que Cyrus ne l’avait point instruit de ce fait, n’en fut que plus ardent à rappeler ses troupes pour affaiblir l’armée de son neveu, et prit un ton plus menaçant qu’auparavant, tant contre les Mèdes qui ne reviendraient pas, que contre l’envoyé, s’il n’exécutait pas sa commission avec vigueur. Le Mède partit à la tête d’une centaine de cavaliers, très affligé lui-même de n’avoir pas suivi Cyrus. Étant arrivés à un endroit où le chemin se partageait en plusieurs routes, ils en prirent une qui les égara, et ne rejoignirent l’armée de Cyrus qu’après avoir rencontré par hasard quelques Assyriens fugitifs, qu’ils obligèrent de les conduire au camp : encore n’y arrivèrent-ils qu’au milieu de la nuit, à la faveur de la clarté des feux. Les gardes, conformément aux ordres de Cyrus, ne laissèrent pas entrer avant le jour. Dès qu’il parut, Cyrus fit appeler les mages, et leur ordonna de choisir dans le butin les dons qu’il était d’usage d’offrir aux Dieux, en reconnaissance de leur bienfaisante protection. Pendant que les mages exécutaient cet ordre, il convoqua les homotimes et leur dit :

« Soldats, c’est à la Divinité que nous devons les richesses immenses que vous avez sous les yeux ; mais nous sommes en trop petit nombre pour les conserver. D’un côté, si nous ne veillons pas à la garde de ces biens, fruits de nos travaux, ils passeront en d’autres mains ; de l’autre, si nous laissons ici des troupes, nous serons visiblement sans forces. Je suis donc d’avis que quelqu’un de vous aille incessamment instruire les Perses de

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