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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/679

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XÉNOPHON.

bryas, suivi d’une troupe de cavaliers bien armés. Les officiers préposés pour recevoir les armes des ennemis qui se rendraient, demandèrent aux cavaliers leurs piques, afin qu’on les brûlât comme on en avait brûlé beaucoup d’autres. Gobryas répondit qu’auparavant il désirait voir Cyrus. On laissa ses gens à l’entrée du camp, et on le conduisit au prince. « Seigneur, lui dit-il, dès qu’il fut en sa présence, je suis Assyrien : je possède un château très fort, et je domine sur un vaste pays. Je fournissais au roi d’Assyrie environ mille chevaux : je lui étais plus attaché que personne. Cet excellent prince est tombé sous vos coups ; et son fils, mon plus mortel ennemi, lui a succédé. Je viens en suppliant me jeter à vos genoux : je me donne à vous, je serai votre sujet et votre allié ; mais devenez mon vengeur. Autant qu’il est en mon pouvoir, je vous adopte pour mon fils ; car je n’ai plus de fils. J’en avais un seul, Seigneur, aussi estimable pour ses qualités qu’aimable par sa figure : il m’aimait, il me respectait, il avait pour moi tous les sentimens qui font le bonheur d’un père. Le roi défunt l’avait mandé pour lui donner sa fille en mariage : moi, flatté d’une si honorable alliance, je m’étais empressé de le faire partir. Un jour le perfide, qui règne maintenant, invita mon fils à une partie de chasse ; et comme il s’estimait beaucoup meilleur cavalier, il lui laissa toute liberté de chasser : mon fils croyait être avec un ami. Un ours parut : tous deux le poursuivent ; le prince lance son dard et le manque : plût aux Dieux qu’il ne l’eût pas manqué ! Mon fils, qui aurait dû être moins adroit, lance le sien, abat l’animal. Le prince, piqué, dissimule sa jalousie. Un instant après, on rencontre un lion ; le prince le manque pareillement, ce qui n’est pas extraordinaire à la chasse : mon fils d’un coup, hélas trop heureux, renverse le lion, et s’écrie : « De la même main j’ai lancé deux dards ; tous les deux ont porté. » À ces mots, le traître, ne contenant plus sa fureur jalouse, arrache un javelot des mains de quelqu’un de sa suite, et l’enfonçant dans le sein de mon fils, de mon cher fils, de mon fils unique, il lui ôte la vie. Malheureux père ! au lieu d’un jeune époux je revis un cadavre ; et moi, vieillard, je mis dans le tombeau le meilleur, le plus aimé des fils, dont les joues étaient à peine ombragées d’un léger duvet. On eût dit que son assassin s’était défait d’un ennemi : il ne témoigna nul repentir, ne rendit, en expiation de son horrible forfait, aucun honneur à la mémoire du mort. Son père me plaignit, et se montra sensible à ma douleur. S’il vivait encore, vous ne me verriez pas implorer votre secours contre lui : j’en avais reçu autant de témoignages de bonté que je lui avais donné de preuves d’attachement. Mais puis-je conserver les mêmes sentimens pour l’assassin de mon fils, qui règne à présent ? et lui-même me regardera-t-il comme son ami ? Il sait quels sont mes sentimens envers lui, qu’avant son crime je vivais heureux, et que maintenant, privé de mon fils je traîne dans les larmes une douloureuse vieillesse. Oui, Seigneur, si vous me recevez dans votre alliance, et que vous me donniez quelque espérance de venger la mort de ce fils chéri, je croirai renaître ; je vivrai sans honte et mourrai sans regret. »

Cyrus répondit à Gobryas : « Si votre cœur ne dément point ce que vous venez de dire, je reçois volontiers votre prière ; je vous promets qu’avec l’aide