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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/683

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XÉNOPHON.

vous la témoigner comme vous le méritez ; je ne rougis pas de l’avouer : mais je rougirais d’ajouter que si vous demeurez avec moi, je saurai bien m’acquitter ; je craindrais de paraître ne vous faire cette promesse, que pour vous déterminer à rester plus volontiers. Je me bornerai à vous dire que dans le cas où vous me quitteriez pour obéir à Cyaxare, je me comporterai, si j’obtiens quelque succès, de manière à ce que vous ayez à vous louer de ma gratitude : car Cyrus ne s’en retournera pas. Je suis lié aux Hyrcaniens par la foi du serment ; j’y serai fidèle, et ne m’exposerai jamais au reproche de les avoir trahis. D’ailleurs, je ferai en sorte que Gobryas, qui nous livre ses forteresses, ses domaines, ses troupes, ne se repente point d’avoir recherché notre amitié. Un motif plus puissant encore me retient ici : je me couvrirais de honte, et je craindrais d’offenser les Dieux, si par une crainte imprudente j’abandonnais les biens signalés qu’ils nous donnent. Je suis déterminé à rester. Faites ce qu’il vous plaira : dites-moi seulement quel parti vous prenez. »

Ainsi parla Cyrus. Le Mède qui autrefois s’était dit son parent, lui répondit le premier. « Seigneur roi, accepte ce titre, parce qu’il me semble que la nature ne t’a pas moins fait pour être roi, que le chef des abeilles, qui naît dans une ruche, pour les gouverner. Les abeilles lui obéissent constamment et volontiers : s’il demeure dans la ruche, aucune ne s’éloigne ; s’il en sort, toutes l’accompagnent, tant elles sont attachées à ses lois. Les hommes que tu vois, Seigneur, sont retenus auprès de toi par le même attrait. Quand tu allas de Médie en Perse, quel Mède, jeune ou vieux, chercha des prétextes pour ne pas t’accompagner, jusqu’au moment où Astyage nous rappela ? Lorsque ensuite, tu es revenu de la Perse à notre secours, nous avons vu presque tous tes amis empressés à te suivre. Quand tu as entrepris cette dernière expédition, tous les Mèdes, de leur propre mouvement, se sont joints à toi. Tels sont aujourd’hui nos sentimens, qu’en quelque lieu que nous soyons avec toi, même en pays ennemi, nous nous croyons en sûreté, et que sans toi nous craindrions même de retourner dans notre patrie. Que les autres déclarent leurs intentions : pour moi, Seigneur, et ceux que je commande, nous resterons près de toi ; ta présence nous fera tout supporter ; tes bienfaits animeront notre courage. »

Tigrane alors prenant la parole : « Ne sois pas surpris, Cyrus, si je garde le silence ; je ne suis point ici pour délibérer, mais pour exécuter tes ordres. — Mèdes, dit ensuite le prince d’Hyrcanie, si vous partiez, je vous croirais poussés par un génie malfaisant, ennemi de votre bonheur. Quel homme, s’il n’est dépourvu de sens, tournerait le dos à des ennemis en fuite ? Qui refuserait, ou leurs armes quand ils les livrent, ou leurs fortunes et leurs personnes lorsqu’ils les abandonnent, surtout ayant un général comme le nôtre, qui, j’en prends les Dieux à témoin, trouve plus de plaisir à nous faire du bien qu’à grossir son trésor ? » À ces mots, tous les Mèdes s’écrièrent : « C’est toi, Cyrus, qui nous as fait sortir de notre patrie ; c’est avec toi que nous y rentrerons quand tu le jugeras à propos. » Cyrus attendri, fit à l’instant cette prière : « Grand Jupiter, accorde moi, je t’en conjure, de surpasser par mes bienfaits leur généreux attachement ! » Ensuite il leur dit qu’ils pou-