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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/687

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XÉNOPHON.

prince qui règne aujourd’hui ? — Je ne l’ai que trop éprouvée. — Serais-tu le seul qui aurait eu à s’en plaindre, ou d’autres que toi en ont-ils essuyé de semblables traitemens ? — Certes, le nombre en est grand : mais sans te raconter toutes les violences qu’il exerce contre des gens trop faibles pour lui résister, je ne te parlerai que du fils d’un homme beaucoup plus puissant que moi, qui, son ami ainsi que mon fils, vivait avec lui dès l’enfance. Un jour qu’ils mangeaient ensemble, le prince le saisit et le fit eunuque, pour cela seul, dit-on alors, que la maîtresse du prince avait loué la beauté du jeune homme et vanté le bonheur de celle qui l’aurait pour époux : il allègue aujourd’hui pour excuse de cette violence, que le jeune homme avait tenté de séduire sa maîtresse. Quoi qu’il en soit, l’infortuné jeune homme est eunuque, et il gouverne à présent les états que son père lui a laissés en mourant. — Penses-tu qu’il fût bien aise de nous voir chez lui s’il croyait que nous vinssions pour le servir ? — Je n’en doute pas ; mais il est difficile que nous le joignions. — Pourquoi ? Parce qu’il faut, pour cela, pénétrer au-delà de Babylone. — En quoi cette entreprise est-elle si difficile ? — En ce que je sais qu’il sortira de cette ville beaucoup plus de troupes que tu n’en as : sois même persuadé que si à présent il te vient moins d’Assyriens t’apporter leurs armes et t’amener leurs chevaux, c’est uniquement parce que ton armée a paru peu considérable à ceux qui l’ont vue, et que le bruit s’en est répandu dans le pays. En conséquence, j’estime que nous devons dans notre marche, être toujours sur nos gardes. »

Quand Gobryas eut cessé de parler : « Tu as bien raison, lui répondit Cyrus, d’insister sur la nécessité de rendre notre marche la plus sûre possible. Pour moi, en y réfléchissant, je n’imagine pas de meilleur moyen que d’aller droit à Babylone, puisque c’est là que les Assyriens ont rassemblé leurs principales forces. Tu prétends, toi, qu’ils sont nombreux, et moi j’ajoute qu’ils seront redoutables s’ils joignent le courage à l’avantage du nombre. S’ils ne nous voient pas et qu’ils soupçonnent que la peur nous empêche de nous montrer, sois sûr que dès-lors, délivrés de toute crainte, ils deviendront d’autant plus hardis qu’ils auront été plus long-temps sans nous voir. Si, au contraire, de ce moment nous marchons à eux, nous les trouverons, les uns pleurant la mort de leurs camarades tombés sous nos coups, les autres embarrassés des bandages de leurs blessures, tous encore pleins du souvenir de notre bravoure, de leur fuite et de leur infortune. Une autre considération encore, Gobryas, c’est qu’une troupe intrépide est capable d’efforts auxquels rien ne résiste ; mais si la frayeur s’en empare, plus elle est nombreuse, plus l’épouvante y cause de trouble et de désordre. Les mauvaises nouvelles qui se répandent, les incidens fâcheux qui surviennent, la pâleur, le découragement peint sur les visages, tout accroît la terreur. Dans une telle crise il n’est aisé ni de calmer avec de belles paroles, ni de persuader de retourner au combat, ni de ranimer le courage par une honorable retraite : plus les exhortations sont vives, plus le danger paraît pressant.

» Examinons ton objection dans toute sa force. Si désormais la multitude doit décider de la victoire, tu crains avec raison ; nous sommes en péril : mais si le succès des batailles dépend encore, comme nous l’avons éprouvé, de la valeur des troupes, marche avec assurance ; avec la protection des Dieux, tu trouveras parmi nous plus de soldats