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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/704

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LA CYROPÉDIE, LIV. V.

taspe amenait l’infortuné Gadatas, qui de même conjurait Cyrus de ne pas l’abandonner. Cyrus, qui savait que Gadatas mourait de peur que l’armée ne fût licenciée, lui dit en riant : « Il est clair, Gadatas, que c’est Hystaspe qui t’a suggéré les sentimens que tu manifestes. » Gadatas, levant les mains au ciel, jura qu’Hystaspe n’y avait aucune part : « mais je vois, ajouta-t-il, que si vous vous retirez avec vos troupes, c’en est fait de mes possessions ; voilà pourquoi je suis venu en personne demander à Hystaspe s’il connaissait ta résolution relative au licenciement des troupes. — À ce qu’il paraît, dit Cyrus, j’ai tort de m’en prendre à Hystaspe. — Oui, Cyrus, oui, tu as tort ; car moi-même je lui ai représenté que tu ne pouvais rester, parce que ton père te rappelait. — Que dis-tu, tu as osé décider de ce que je ferais ou ne ferais pas ? — Cela est vrai ; je te vois une si grande impatience d’aller te montrer en Perse, et faire à ton père le récit détaillé de chacun de tes exploits ! — Et toi, n’as-tu nulle envie de retourner dans ta patrie ? — Non, par Jupiter, non, je ne m’en irai point ; je resterai, les armes à la main, jusqu’à ce que j’aie soumis le roi d’Assyrie à Gadatas que tu vois. »

Pendant ce badinage, soutenu d’un ton sérieux, Cyaxare, magnifiquement vêtu, sortit de sa tente, et alla se placer sur son trône. Quand tous ceux qui devaient assister au conseil furent assemblés, et qu’on eut fait silence : « Généreux alliés, dit Cyaxare, puisque je me trouve ici, et que je suis l’aîné de Cyrus, permettez que je prenne le premier la parole. Je pense donc qu’il est maintenant essentiel pour nous d’examiner si nous devons continuer la guerre, ou licencier l’armée. Que quelqu’un dise son avis. »

Le prince d’Hyrcanie se leva : « Braves compagnons, dit-il, je ne vois pas qu’il soit besoin de délibérer, lorsque les choses indiquent ce qu’il y a de mieux à faire. Nous savons tous qu’en demeurant unis, nous faisons plus de mal à l’ennemi qu’il ne nous en fait ; et que pendant que nous étions séparés, il nous traitait d’une manière aussi satisfaisante pour lui que fâcheuse pour nous.

» — À quoi bon, dit le chef des Cadusiens, délibérer si nous devons partir d’ici, pour aller séparément dans nos maisons, nous qui ne pouvons sans danger, même les armes à la main, nous éloigner de vous ; nous qui, vous le savez, avons été punis pour nous en être écartés un moment ? »

Après le Cadusien, ce Mède qui s’était dit autrefois le parent de Cyrus, Artabase, prenant la parole : « Pour moi, Cyaxare, j’envisage la question bien autrement que les préopinans. Ils prétendent qu’il faut rester ici pour faire la guerre : moi, je déclare que c’était en Médie que la guerre avait lieu. Alors il me fallait tantôt courir à la défense de nos biens qu’on enlevait, tantôt veiller à celle de nos châteaux menacés, presque toujours en alarme et sur la défensive ; et cette guerre était à mes frais. Actuellement nous tenons les forteresses des ennemis ; je ne les redoute point ; je fais d’ailleurs bonne chère à leurs dépens : d’où je conclus que notre existence, dans notre pays, étant un état de guerre continuelle, et la vie militaire qu’on mène ici une fête continuelle, on ne doit point rompre cette société. » Après Artabase, Gobryas parla : « Chers alliés, jusqu’à présent je n’ai qu’à me louer de la droiture de Cyrus ; il n’a manqué à aucune de ses promesses : mais s’il abandonne ce pays, le roi d’Assyrie jouira donc en paix de ses injustices ; il vous aura impunément insultés ; et moi, loin d’être vengé du