Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
715
LA CYROPÉDIE, LIV. VI.

ment leurs bataillons de dix mille hommes chacun, cent de front sur cent de hauteur ; tel est, disent-ils, l’usage de leur pays : Crésus ne le leur a permis qu’avec une extrême répugnance, parce qu’il voulait que son armée eût un front beaucoup plus étendu que n’a la tienne. — Pourquoi le désirait-il ? — Sans doute pour vous envelopper avec la partie qui dépasserait. — Qu’il prenne garde, en voulant envelopper, d’être enveloppé lui-même. Mais, nous venons d’entendre ce qu’il nous importait de savoir : voici, mes amis, ce que vous avez à faire.

» Allez, en sortant d’ici, visiter vos armes et les harnois de vos chevaux ; souvent pour la plus petite chose qui manque, l’homme, le cheval, le char, deviennent inutiles. Demain matin, pendant que je sacrifierai, que vos hommes déjeunent, que vos chevaux mangent, de peur que le moment d’agir ne nous surprenne à jeun. Toi, Araspe, tu te placeras à l’aile droite, comme tu as fait jusqu’à présent ; et vous, myriarques, vous conserverez vos postes accoutumés : ce n’est pas au moment du combat qu’il faut changer l’attelage d’un char. Ordonnez aux taxiarques et aux chefs d’escouade de se mettre en bataille sur douze de hauteur, en rangeant chaque escouade sur deux files. » Or l’escouade était de vingt-quatre soldats.

« — Cyrus, dit un des myriarques, crois-tu qu’avec si peu de hauteur nous puissions résister à d’épais bataillons ? — Et toi, répliqua Cyrus, crois-tu que des bataillons dont l’épaisseur fait que la plupart des soldats ne sauraient atteindre l’ennemi avec leurs armes, puissent être d’un grand secours aux leurs, et faire bien du mal au parti opposé ? Je désirerais que les hoplites égyptiens, au lieu d’être sur cent, fussent sur dix mille de hauteur ; nous aurions affaire à beaucoup moins d’hommes. Quant à nos troupes, par la hauteur que je leur donne, j’estime qu’elles seront toutes en action, toutes en état de s’entre-secourir. Derrière les fantassins cuirassés, je placerai les acontistes, après ceux-ci les archers. Qui, en effet, placerait en première ligne des corps qui conviennent eux-mêmes n’être nullement propres à combattre de près ? Mais, couverts par l’infanterie pesante, ils tiendront ferme, et incommoderont les Assyriens, les uns en lançant leurs javelots, les autres en tirant leurs flèches par dessus les premiers rangs. Quelque moyen qu’on emploie pour nuire à l’ennemi, pourvu qu’on réussisse, on sert utilement les siens.

» Je placerai en dernière ligne le corps qu’on appelle corps de réserve. Comme une maison n’est d’aucun usage si les fondemens et le toit n’en valent rien, de même une armée devient inutile, si les premiers et les derniers rangs ne sont composés de bons soldats. Mettez-vous donc en bataille dans l’ordre que j’ai prescrit ; chefs de l’infanterie pesante à la première ligne, chefs de l’infanterie légère à la seconde, commandans des archers à la troisième ; toi commandant de l’arrière-garde, placé à la dernière ligne, recommande à chacun de tes soldats d’observer les mouvemens de la file qui sera devant lui, d’encourager ceux qui se comporteront vaillamment, de contenir les lâches par de fortes menaces. Si quelqu’un tourne le dos et trahit, qu’on le tue. C’est à ceux qui sont placés au front de l’armée, d’animer, par leurs discours et par leurs actions, les soldats qui marchent après eux ; mais vous qui êtes au dernier rang, vous devez être plus redoutables aux lâches que l’ennemi même.

» Voilà ce que j’avais à vous ordonner. Toi, Euphrate, qui commande les machines, fais que nos tours roulantes