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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/734

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LA CYROPÉDIE, LIV. VII.

qui se croiraient lésés, à se plaindre. Enfin, il enjoignit d’une part aux Babyloniens de cultiver leurs champs, de payer les tributs, et de servir les maîtres qu’il leur donnait ; de l’autre il accordait aux Perses, à ceux qui participaient à leurs prérogatives, et à tous les alliés qui se décidaient à rester avec lui, un empire absolu sur les prisonniers qui leur étaient échus.

Toutes choses ainsi réglées, Cyrus qui désirait d’être traité avec les égards qu’il croyait dûs à un roi, résolut d’amener ses amis à lui en faire eux-mêmes la proposition ; afin qu’on fût moins blessé de le voir rarement en public, et dans un appareil imposant. Voici la conduite qu’il tint. Un jour, au lever du soleil, il se plaça dans un lieu qu’il jugea propre à son dessein : là, il écoutait tous ceux qui se présentaient pour lui parler, leur répondait et les renvoyait. Quand on sut qu’il donnait audience, on accourut en foule : on se poussait, on se disputait, on cherchait tous les moyens d’arriver jusqu’à lui ; les gardes faisaient de leur mieux pour faciliter l’accès aux personnes dignes de quelque considération. Si des amis de Cyrus, après avoir percé la presse, s’offraient à lui, il leur présentait la main, les attirait à lui, en leur disant : « Attendez, mes amis, que nous ayons expédié tout ce peuple ; nous nous verrons ensuite à loisir. » Ses amis attendaient ; mais la foule grossissant toujours, la nuit survint avant qu’il eût le loisir de leur parler. « Mes amis, leur dit-il alors, il est temps de se retirer : revenez demain matin ; je veux avoir un entretien avec vous. » Ils avaient long-temps souffert la privation des choses nécessaires : ils se retirèrent bien volontiers. Chacun alla se reposer.

Le lendemain, Cyrus se rendit au même lieu : il y trouva une multitude encore plus nombreuse de gens qui voulaient l’approcher ; ils étaient arrivés long-temps avant ses amis. Mais il forma autour de lui un grand cercle de soldats armés de piques, auxquels il ordonna de ne laisser avancer que ses familiers, les chefs des Perses et ceux des allies. Lorsqu’ils furent rassemblés, il leur parla en ces termes :

« Amis, et braves compagnons, jusqu’à présent nous ne saurions nous plaindre aux Dieux que tout ce que nous avons désiré n’ait pas été accompli : mais si le fruit des grandes actions se réduit à ne pouvoir plus jouir ni de soi-même, ni du plaisir de vivre avec ses amis, je renonce volontiers à cette félicité. Vous vîtes hier que bien que l’audience eût commencé dès l’aurore, elle n’était point fermée à la nuit, vous voyez qu’aujourd’hui les même personnes et d’autres en plus grand nombre, viennent me fatiguer de leurs affaires. Si je m’assujettissais ainsi, il est évident que nous n’aurions vous et moi que peu de commerce ensemble ; et certainement, je n’en aurais aucun avec moi-même. Je remarque d’ailleurs une chose ridicule : j’ai pour vous l’affection que vous méritez ; et je connais à peine un seul homme parmi ceux qui m’environnent : cependant ils se persuadent tous que s’ils sont plus forts à percer la foule, je dois les écouter les premiers. Il me paraîtrait convenable que ceux qui auraient quelque demande à me faire, s’adressassent d’abord à vous, et vous priassent de les introduire. On demandera peut-être pourquoi je n’ai pas établi cet ordre dès le commencement, pourquoi au contraire je me suis rendu accessible à tout le monde. C’est que j’étais convaincu qu’à la guerre un général ne saurait être trop tôt informé de ce qu’il lui împorte de