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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/737

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XÉNOPHON.

de ses maîtres. Et quand ils auraient perdu quelque chose de leur vigueur, le fer n’égale-t-il pas, dans une bataille, les faibles aux plus robustes ?

D’après ces considérations, Cyrus, à commencer par les portiers, prit tous eunuques pour garder sa personne. Mais il craignit que seuls ils ne pussent le défendre contre la multitude des malveillans. Comme il réfléchissait en lui-même à qui, parmi les hommes d’une autre espèce, il pourrait confier avec sûreté, la garde de l’extérieur du palais, il se rappela que les Perses restés chez eux, menaient dans la pauvreté une vie malheureuse et pénible, tant à cause de l’âpreté du sol, que parce qu’ils étaient obligés de travailler de leurs mains : il crut qu’ils s’estimeraient heureux de remplir auprès de lui cette fonction. Il prit parmi eux dix mille doryphores, pour faire le guet jour et nuit autour du palais, et l’escorter lorsqu’il sortirait. Jugeant d’ailleurs nécessaire d’avoir dans Babylone assez de troupes pour contenir les habitans, soit qu’il y fût ou non, il y mit une forte garnison, dont il exigea que les Babyloniens payassent la solde : il voulait les rendre pauvres, afin de les humilier et de les assouplir.

L’établissement de cette garde pour la sûreté de sa personne et celle de la ville, s’est maintenu jusqu’à présent. Songeant ensuite aux moyens de conserver ses possessions, d’en reculer même les limites, il pensa que ces hommes stipendiés pourraient ne pas autant surpasser en courage les peuples vaincus, qu’ils leur étaient inférieurs en nombre. Il résolut donc de retenir auprès de lui les braves guerriers qui, avec l’aide des Dieux, avaient contribué à ses victoires, et surtout de faire en sorte qu’ils ne dégénérassent pas de leur ancienne vertu. Cependant, pour ne point paraître leur donner un ordre, mais afin que leur persévérance et leur amour pour la vertu leur fussent inspirés par l’intime conviction qu’ils y trouveraient le bonheur, il manda, outre les homotimes, tous ceux dont la présence était nécessaire, ou qu’il estimait les dignes compagnons de ses travaux et de sa gloire, et leur tint ce discours :

« Amis et braves guerriers, rendons d’immortelles actions de grâces aux Dieux de nous avoir accordé les biens auxquels nous croyons avoir droit de prétendre. Nous voici maîtres d’un vaste et fertile pays ; ceux qui les cultivent, fourniront à notre subsistance : nous avons des maisons garnies des meubles nécessaires. Que nul d’entre vous ne considère ces biens comme des biens étrangers ; car c’est une maxime de tous les temps et de tous les lieux, que dans une ville prise sur des ennemis en état de guerre, tout, et les biens et les personnes, appartient aux vainqueurs. Loin donc que vous déteniez injustement les biens qui vous sont échus, si vous en laissez quelque portion aux vaincus, ils la devront à votre humanité. Mais quelle conduite tiendrons-nous désormais ? voici mon avis. Si nous nous livrons à la paresse, à la vie molle de ces lâches, qui pensent que c’est être misérable que de travailler, que le bonheur suprême consiste à vivre oisif, je vous prédis qu’après avoir bientôt perdu tout ressort pour agir, nous perdrons aussi tout ce que nous avons acquis. Il ne suffit pas pour persévérer dans la vertu, d’avoir été vertueux : on ne s’y maintient que par de continuels efforts. Le talent qui se néglige, s’affaiblit ; les corps les plus dispos s’engourdissent dans l’inaction : ainsi la prudence, la tempérance, la bravoure, dégénèrent, si l’on se relâche dans l’exercice de ces vertus.