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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/740

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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

maîtres que par force, et que nous, si nous voulons agir en hommes libres, nous devons faire de bon gré ce que nous estimons le plus digne de louange. Jetez les yeux sur les états qui sont gouvernés par plusieurs magistrats, vous remarquerez que celui où les citoyens sont le plus empressés à obéir, est le moins exposé à subir la loi d’un vainqueur. Soyons donc assidus à la porte du palais de Cyrus, comme ce prince nous y invite ; exerçons-nous à tout ce qui peut nous garantir la possession des biens qu’il nous importe de conserver ; montrons nous toujours prêts à exécuter ce qu’il plaira à Cyrus de nous ordonner : sachons qu’il ne peut rien faire pour lui qui ne tourne à notre avantage, puisque nos intérêts sont communs, et que nous avons les mêmes ennemis à combattre. »

Après ce discours de Chrysante, plusieurs des assistans, Perses et alliés, se levèrent, approuvant à haute voix ce qu’ils venaient d’entendre. Il fut arrêté que les grands se rendraient tous les jours à la porte, pour y recevoir les ordres de Cyrus, et y demeureraient jusqu’à ce qu’il les congédiât. Ce qui fut alors établi, se pratique encore dans l’Asie, à la cour du roi, par les principaux seigneurs : les habitans des provinces se rendent de même assidûment à la porte des commandans. On a vu jusqu’ici que le but de toutes les institutions de Cyrus, était d’affermir sa puissance et celle des Perses : aussi ont-elles été maintenues constamment par ses successeurs, sauf les variations qu’éprouvent les établissemens humains. Sous les princes vertueux, on observe les lois avec exactitude ; on les viole sous les mauvais princes. Les seigneurs se rendaient donc tous les jours à la porte de Cyrus, avec leurs chevaux et leurs armes, suivant le règlement adopté par les braves guerriers qui avaient contribué à la destruction de l’empire d’Assyrie.

Cyrus créa différens officiers à qui confia divers détails ; la perception des tributs, le paiement des dépenses, l’inspection des ouvrages publics, la garde du trésor, l’approvisionnement de sa maison. D’autres furent préposés à son écurie et à sa vénerie, selon qu’il les jugea propres à bien dresser ses chevaux et ses chiens. À l’égard de ceux qu’il destinait à être les soutiens de sa puissance, il ne commit à personne le soin de les surveiller, persuadé que cette fonction lui appartenait spécialement. Il savait que dans une bataille, ce serait entouré de ces hommes là qu’il combattrait et courrait les plus grands dangers ; que c’était de leurs corps qu’il devait tirer des taxiarques, soit d’infanterie soit de cavalerie ; des généraux capables de commander, à son défaut ; des gouverneurs de villes et de provinces entières ; et même des ambassadeurs : car il regardait comme un objet essentiel, de pouvoir venir à bout de ses desseins sans employer la force. Or il sentait que ses affaires iraient mal, si les hommes chargés des emplois les plus importans n’étaient pas en état de les remplir ; et que les choses au contraire tourneraient à son gré s’ils étaient tels qu’ils devaient être. Il résolut donc de se livrer tout entier à cette surveillance : il pensait que ce serait pour lui un nouveau motif de s’entretenir dans la pratique de la vertu ; persuadé qu’il est impossible d’y exciter les autres en n’en donnant pas l’exemple.

Pénétré de ces vérités, il comprit que pour surveiller les grands, il lui fallait avant tout du loisir : mais il voyait d’un côté, que les dépenses nécessaires dans un empire aussi vaste

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