Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/767

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
766
XÉNOPHON.

Autrefois ils allaient si fréquemment à la chasse, que cet exercice suffisait pour tenir en haleine les hommes et les chevaux. Depuis que le roi Artaxerxès et ses courtisans se sont adonnés au vin, ils ont renoncé à la chasse ; et si quelqu’un, pour s’entretenir dans l’habitude de la fatigue, a continué de chasser avec ses cavaliers, il s’est attiré la haine de ses égaux jaloux de l’avantage qu’il a sur eux.

L’usage d’élever les enfans à la porte du palais s’est maintenu jusqu’à présent : mais on néglige de leur enseigner à monter à cheval, parce qu’il ne se rencontre plus d’occasions où il puissent faire briller leur adresse. La cour était une école où ils se formaient à la justice, parce qu’ils y voyaient l’équité présider aux jugemens : ils voient, au contraire, triompher aujourd’hui ceux qui donnent le plus d’argent. Les enfans apprenaient à connaître les propriétés des plantes, afin de s’en servir ou de s’en abstenir, suivant qu’elles sont salutaires ou nuisibles : maintenant il semble qu’ils n’apprennent à les distinguer que pour être en état de faire le plus de mal possible : aussi n’est-il point de pays ou les empoisonnements soient plus fréquens.

Leur vie est d’ailleurs beaucoup plus voluptueuse et plus molle qu’elle n’était du temps de Cyrus. Quoiqu’il eussent dès-lors adopté l’habit et la parure des Mèdes, leurs mœurs se sentaient encore de l’éducation mâle qu’ils avaient reçue en Perse : ils laissent aujourd’hui éteindre en eux les vertus de leurs pères, et conservent la mollesse des Mèdes. Mais entrons dans quelques détails sur cet article.

Ils ne se contentent pas d’être couchés mollement : il faut que les pieds de leurs lits soient posés sur des tapis, qui, en obéissant au poids, empêchent de sentir la résistance du plancher. Ils n’ont abandonné aucun des mets et des ragoûts qu’on leur servait autrefois, et tous les jours ils en inventent de nouveaux ; ils ont même des gens à leurs gages pour en imaginer. L’hiver, ils ne se bornent pas à se couvrir la tête, le corps et les pieds : ils ont les mains garnies de fourrures, et les doigts dans des espèces d’étui. Durant l’été, l’ombre des bois et des rochers ne leur suffit pas ; ils ont recours à l’art pour la rendre plus épaisse. Ils tirent vanité de posséder un grand nombre de vases précieux ; et ils ne rougissent pas de les avoir acquis par des voies malhonnêtes : tant l’injustice et l’amour sordide du gain ont fait de progrès chez eux. Une ancienne loi leur défendait de paraître jamais à pied dans les chemins, et le but de ce règlement était d’en faire de bons cavaliers : ils l’observent encore ; mais il ont plus de tapis sur leurs chevaux que sur leurs lits, et sont beaucoup moins curieux d’être bien à cheval que d’être assis mollement.

Pour ce qui regarde la guerre, serait-il possible qu’ils fussent à présent les mêmes qu’ils étaient autrefois ? Du temps de leurs pères, les grands venaient joindre l’armée avec un certain nombre de cavaliers levés dans leurs domaines ; et lorsqu’il s’agissait de la défense du pays, les garnisons des places entraient en campagne moyennant la solde qu’on leur donnait. Aujourd’hui, les grands, dans la vue de profiter de la solde, transforment en cavaliers leurs portiers, leurs boulangers, leurs cuisiniers, leurs échansons, leurs baigneurs, les valets qui servent et desservent leurs tables, qui les mettent au lit ou qui les rêvèrent, qui les habillent, qui les frottent, qui les parfument, en un mot, qui ont soin de tout leur ajustement. Ainsi, quoique leurs armées soient nombreuses, elles ne sont d’aucune utilité,