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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/810

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ARRIEN, LIV. II.

Le siége décidé, Alexandre résolut de former une jetée du continent à la ville. Du premier côté, les eaux sont basses et fangeuses, et du côté de la place, leur plus grande profondeur est de trois orgyes ; mais les matériaux étaient sous la main, des pierres en abondance, et des bois pour les soutenir. On enfonçait facilement le pilotis dont la vase formait naturellement le ciment. Les Macédoniens se portaient à l’ouvrage avec ardeur ; la présence d’Alexandre les encourageait ; ses discours animaient leurs travaux, ses éloges les payaient de leurs plus grands efforts ; à la pointe du continent, le môle crut rapidement, il n’y avait nul obstacle de la part des flots et de l’ennemi. Mais lorsqu’on approcha des murs, on trouva plus de profondeur ; et disposé plutôt pour le travail que pour le combat, on souffrit beaucoup des traits que les ennemis faisaient pleuvoir du haut des remparts. D’ailleurs les Tyriens, maîtres encore de la mer, détachaient de différens côtés des trirèmes qui venaient arrêter les travailleurs ; les Macédoniens placent, à l’extrémité du môle avancé, deux tours de bois, armées de machines ; on les couvrit de peaux pour les garantir des brandons enflammés ; les ouvriers furent alors à l’abri des flèches ; tandis que des traits lancés du haut des tours écartaient facilement les vaisseaux qui venaient inquiéter les travailleurs.

Les Tyriens eurent recours à cet expédient. Ils remplissent un bâtiment de charges de sarmens secs et d’objets qui s’embrasent aisément ; ils élèvent vers la proue deux mâts qu’entoure une enceinte étendue, et remplie de fascines, de torches, de poix, de soufre et d’autres matières excessivement combustibles ; ils ajustent à chaque mât deux antennes auxquelles ils suspendent des chaudières qui contiennent les plus incendiaires alimens ; on transporte à la poupe tout l’attirail de la manœuvre pour élever la proue par ce contrepoids ; ayant pris le vent qui poussait vers le môle, ils y dirigent ce brûlot attaché à des galères ; arrivé aux pieds des tours, on met le feu au brûlot que les trirèmes poussent avec force contre la tête du môle : les matelots se sauvent à la nage.

Cependant les flammes gagnent rapidement les tours ; les antennes brisées épanchent dans leur chute tout ce qui peut accroître l’embrasement. Les trirèmes des Tyriens, enveloppant le môle, faisaient pleuvoir sur les tours une grêle de traits pour empêcher qu’on y portât des secours. Dès que les habitans aperçoivent l’incendie, ils montent sur des barques, et, abordant le môle de tous côtés, détruisent facilement les travaux des Macédoniens, et brûlent le reste des machines échappées aux premières flammes.

Alexandre fait recommencer un môle plus large, propre à contenir un plus grand nombre de tours, et ordonne aux architectes de construire de nouvelles machines. Cependant il part avec les Hypaspistes et les Agriens, pour rassembler et retirer tous ses vaisseaux de la côte des Sidoniens, reconnaissant la prise de Tyr impossible tant que les assiégés tiendraient la mer.

Sur ces entrefaites, Gérostrate, roi d’Arados, et Enylus, roi de Biblos, apprenant que leurs villes étaient tombées au pouvoir d’Alexandre, se séparent de la flotte d’Autophradates, et viennent, avec leurs vaisseaux et les trirèmes des Sidoniens, grossir celle d’Alexandre, forte alors de quatre-vingt voiles phéniciennes. Les jours suivans, on vit s’y réunir les trirèmes de Rhodes, dont l’une surnommée Péripole ; trois de Soles et de Malle ; dix de