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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/820

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ARRIEN, LIV. III.

qui auraient pu empêcher la manœuvre des chars ou de la cavalerie. En effet, ses courtisans attribuaient la défaite d’Issus à la difficulté des lieux ; Darius les crut facilement.

Instruit de ces dispositions par les prisonniers, Alexandre fit halte à l’endroit même où il était : il retint pendant quatre jours ses troupes au camp pour les refaire, et s’y fortifia. En effet, il avait résolu d’y laisser les bagages, les soldats inutiles, et de mener ses troupes à l’ennemi sans autre équipage que leurs armes. L’armée s’ébranle vers la seconde veille de la nuit pour engager l’action générale au lever de l’aurore.

Sur la nouvelle de l’approche d’Alexandre, Darius se prépare au combat. Alexandre s’avance en ordre de bataille. Les armées n’étaient éloignées que de soixante stades, et ne se découvraient point encore ; en effet, elles étaient séparées par des hauteurs. Dès qu’Alexandre y fut arrivé, apercevant les Barbares, il fait halte ; et rassemblant les Hétaires, les chefs de l’armée, et les commandans des troupes macédoniennes et étrangères, il mit en délibération s’il ferait donner de suite la phalange sur l’ennemi, ce qui était l’avis du plus grand nombre ; ou s’il camperait dans cet endroit, selon le conseil de Parménion ; qu’alors on reconnaîtra les lieux et les environs, les embuscades ou les pièges cachés, les dispositions et l’ordonnance de l’ennemi. L’avis de Parménion l’emporta. L’armée campa en ordre de bataille.

Alexandre, prenant avec lui les troupes légères et la cavalerie des Hétaires, fait le tour des lieux qui devaient être le théâtre du combat.

Dé retour, il rassemble de nouveau le conseil : « Braves guerriers, je n’enflammerai point votre courage par des discours, vos propres exploits vous parlent assez haut. Allez, dites seulement aux soldats qu’il ne s’agit plus ici de la conquête de la Cœlo-Syrie, de la Phénicie ou de l’Égypte, mais de l’empire de l’Asie à qui cette journée doit donner un maître. Ce peu de mots suffit à des héros éprouvés. Souvenez-vous seulement d’observer l’ordre déterminé ; gardez le silence tant qu’il sera nécessaire ; et qu’on ne pousse un cri général que dans le moment décisif ; soyez attentifs à recevoir l’ordre, et prompts à l’exécuter. Que chacun sache qu’il est responsable d’un succès qu’il peut assurer, que la négligence seule ferait perdre. »

Après avoir ainsi animé les chefs en peu de mots, et lui-même plein de confiance en leur résolution et leur courage, il fait prendre à ses soldats des alimens et du repos.

On assure que Parménion se rendit à la tente d’Alexandre, et lui conseilla d’attaquer les Perses pendant la nuit, où l’ombre et la surprise augmenteraient le désordre de l’ennemi. Mais Alexandre à haute voix, et de manière à être entendu de ceux qui l’entouraient : « Il serait honteux de dérober la victoire ; c’est ouvertement, et non par un détour que je veux triompher. » On trouva plus d’héroïsme que d’orgueil dans ce mot, à mon avis, plein de prudence.

En effet, dans la nuit, au milieu même de l’inégalité des armes, il peut arriver de ces accidens imprévus qui, funestes au plus fort, rangent tout-à-coup la victoire du côté le plus faible, et de la manière la plus imprévue. La valeur d’Alexandre devait préférer d’être exposée au grand jour. Darius vaincu dans une attaque nocturne, n’en aurait conçu aucune humiliation. D’un autre côté, en supposant que les Macédoniens eussent été repoussés, l’ennemi

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